Poésie Poesie / beaux textes

karton
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Le soleil se meurt

Le soleil se meurt
une rumeur d'homme à la bouche
C'est une étrange soif
quand grisonnent les idées
et que l'amour
à peine commence
*
Qui parle de refaire le monde ?
On voudrait simplement
le supporter
avec une brindille
de dignité
au coin des lèvres


— Abdellatif Laâbi (né en 1942) L'arbre à poèmes
 
Caméo
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Le musicien de Saint-Merry​

Poesie / beaux textes

Guillaume Apollinaire (1880-1918)

J’ai enfin le droit de saluer des êtres que je ne connais pas
Ils passent devant moi et s’accumulent au loin
Tandis que tout ce que j’en vois m’est inconnu
Et leur espoir n’est pas moins fort que le mien
Je ne chante pas ce monde ni les autres astres
Je chante toutes les possibilités de moi-même hors de ce monde et des astres
Je chante le joie d’errer et le plaisir d’en mourir
Le 21 du mois de mai 1913
Passeur des morts et les mordonnantes mériennes
Des millions de mouches éventaient une splendeur
Quand un homme sans yeux sans nez et sans oreilles
Quittant le Sébasto entra dans la rue Aubry-le-Boucher
Jeune l’homme était brun et de couleur de fraise sur les joues
Homme Ah! Ariane
Il jouait de la flûte et la musique dirigeait ses pas
Il s’arrêta au coin de la rue Saint-Martin
Jouant l’air que je chante et que j’ai inventé
Les femmes qui passaient s’arrêtaient près de lui
Il en venait de toutes parts
Lorsque tout à coup les cloches de Saint-Merry se mirent à sonner
Le musicien cessa de jouer et but à la fontaine
Qui se trouve au coin de la rue Simon-Le-Franc
Puis saint-Merry se tut
L’inconnu reprit son air de flûte
Et revenant sur ses pas marcha jusqu’à la rue de la Verrerie
Où il entra suivi par la troupe des femmes
Qui sortaient des maisons
Qui venaient par les rues traversières les yeux fous
Les mains tendues vers le mélodieux ravisseur
Il s’en allait indifférent jouant son air
Il s’en allait terriblement
Puis ailleurs
À quelle heure un train partira-t-il pour Paris
À ce moment
Les pigeons des Moluques fientaient des noix muscades
En même temps
Mission catholique de Bôma qu’as-tu fait du sculpteur
Ailleurs
Elle traverse un pont qui relie Bonn à Beuel et disparait à travers Pützchen
Au même instant
Une jeune fille amoureuse du maire
Dans un autre quartier
Rivalise donc poète avec les étiquettes des parfumeurs
En somme ô rieurs vous n’avez pas tiré grand-chose des hommes
Et à peine avez-vous extrait un peu de graisse de leur misère
Mais nous qui mourons de vivre loin l’un de l’autre
Tendons nos bras et sur ces rails roule un long train de marchandises
Tu pleurais assise près de moi au fond d’un fiacre
Et maintenant
Tu me ressembles tu me ressembles malheureusement
Nous nous ressemblons comme dans l’architecture du siècle dernier
Ces hautes cheminées pareilles à des tours
Nous allons plus haut maintenant et ne touchons plus le sol
Et tandis que le monde vivait et variait
Le cortège des femmes long comme un jour sans pain
Suivait dans la rue de la Verrerie l’heureux musicien
Cortèges ô cortèges
C’est quand jadis le roi s’en allait à Vincennes
Quand les ambassadeurs arrivaient à Paris
Quand le maigre Suger se hâtait vers la Seine
Quand l’émeute mourait autour de Saint-Merry
Cortèges ô cortèges
Les femmes débordaient tant leur nombres était grand
Dans toutes les rues avoisinantes
Et se hâtaient raides comme balle
Afin de suivre le musicien
Ah! Ariane et toi Pâquette et toi Amine
Et toi Mia et toi Simone et toi Mavise
Et toi Colette et toi la belle Geneviève
Elles ont passé tremblantes et vaines
Et leurs pas légers et prestes se mouvaient selon la cadence
De la musique pastorale qui guidait
Leurs oreilles avides
L’inconnu s’arrêta un moment devant une maison à vendre
Maison abandonnée
Aux vitres brisées
C’est un logis du seizième siècle
La cour sert de remise à des voitures de livraisons
C’est là qu’entra le musicien
Sa musique qui s’éloignait devint langoureuse
Les femmes le suivirent dans la maison abandonnée
Et toutes y entrèrent confondues en bande
Toutes toutes y entrèrent sans regarder derrière elles
Sans regretter ce qu’elles ont laissé
Ce qu’elles ont abandonné
Sans regretter le jour la vie et la mémoire
Il ne resta bientôt plus personne dans la rue de la Verrerie
Sinon moi-même et un prêtre de saint-Merry
Nous entrâmes dans la vieille maison
Mais nous n’y trouvâmes personne
Voici le soir
À Saint-Merry c’est l’Angélus qui sonne
Cortèges ô cortèges
C’est quand jadis le roi revenait de Vincennes
Il vint une troupe de casquettiers
Il vint des marchands de bananes
Il vint des soldats de la garde républicaine
O nuit
Troupeau de regards langoureux des femmes
O nuit
Toi ma douleur et mon attente vaine
J’entends mourir le son d’une flûte lointaine

Guillaume Apollinaire, Ondes, Calligrammes 1918



Musique​

Poèmes sur la musique
Poesie / beaux textes

Nicolas Tournier, Le concert, 1630
 
Lavandière
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« Veni, vidi, vixi », Victor Hugo​


« J'ai bien assez vécu, puisque dans mes douleurs
Je marche, sans trouver de bras qui me secourent,
Puisque je ris à peine aux enfants qui m'entourent,
Puisque je ne suis plus réjoui par les fleurs ;

Puisqu'au printemps, quand Dieu met la nature en fête,
J'assiste, esprit sans joie, à ce splendide amour ;
Puisque je suis à l'heure où l'homme fuit le jour,
Hélas ! et sent de tout la tristesse secrète ;

Puisque l'espoir serein dans mon âme est vaincu ;
Puisqu'en cette saison des parfums et des roses,
Ô ma fille ! j'aspire à l'ombre où tu reposes,
Puisque mon cœur est mort, j'ai bien assez vécu.

Je n'ai pas refusé ma tâche sur la terre.
Mon sillon ? Le voilà. Ma gerbe ? La voici.
J'ai vécu souriant, toujours plus adouci,
Debout, mais incliné du côté du mystère.

J'ai fait ce que j'ai pu ; j'ai servi, j'ai veillé,
Et j'ai vu bien souvent qu'on riait de ma peine.
Je me suis étonné d'être un objet de haine,
Ayant beaucoup souffert et beaucoup travaillé.

Dans ce bagne terrestre où ne s'ouvre aucune aile,
Sans me plaindre, saignant, et tombant sur les mains,
Morne, épuisé, raillé par les forçats humains,
J'ai porté mon chaînon de la chaîne éternelle.

Maintenant, mon regard ne s'ouvre qu'à demi ;
Je ne me tourne plus même quand on me nomme ;
Je suis plein de stupeur et d'ennui, comme un homme
Qui se lève avant l'aube et qui n'a pas dormi.

Je ne daigne plus même, en ma sombre paresse,
Répondre à l'envieux dont la bouche me nuit.
Ô Seigneur, ! ouvrez-moi les portes de la nuit,
Afin que je m'en aille et que je disparaisse ! »
 
karton
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Le pot de fleurs

Parfois un enfant trouve une petite graine,
Et tout d'abord, charmé de ses vives couleurs,
Pour la planter, il prend un pot de porcelaine
Orné de dragons bleus et de bizarres fleurs.

Il s'en va. La racine en couleuvres s'allonge,
Sort de terre, fleurit et devient arbrisseau ;
Chaque jour, plus avant, son pied chevelu plonge
Tant qu'il fasse éclater le ventre du vaisseau.

L'enfant revient ; surpris, il voit la plante grasse
Sur les débris du pot brandir ses verts poignards ;
II la veut arracher, mais la tige est tenace ;
II s'obstine, et ses doigts s'ensanglantent aux dards.

Ainsi germa l'amour dans mon âme surprise;
Je croyais ne semer qu'une fleur de printemps :
C'est un grand aloès dont la racine brise
Le pot de porcelaine aux dessins éclatants.

Théophile Gautier, Premières poésies
 
Caméo
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À Célimène​

Poesie / beaux textes

Alphonse Daudet (1840-1897)

Je ne vous aime pas, ô blonde Célimène,
Et si vous l’avez cru quelque temps, apprenez
Que nous ne sommes point de ces gens que l’on mène
Avec une lisière et par le bout du nez ;
Je ne vous aime pas… depuis une semaine,
Et je ne sais pourquoi vous vous en étonnez.
Je ne vous aime pas ; vous êtes trop coquette,
Et vos moindres faveurs sont de mauvais aloi ;
Par le droit des yeux noirs, par le droit de conquête,
Il vous faut des amants. (On ne sait trop pourquoi.)
Vous jouez du regard comme d’une raquette ;
Vous en jouez, méchante… et jamais avec moi.
Je ne vous aime pas, et vous aurez beau faire,
Non, madame, jamais je ne vous aimerai.
Vous me plaisez beaucoup ; certes, je vous préfère
À Dorine, à Clarisse, à Lisette, c’est vrai.
Pourtant l’amour n’a rien à voir dans cette affaire,
Et quand il vous plaira, je vous le prouverai.
J’aurais pu vous aimer ; mais, ne vous en déplaise,
Chez moi le sentiment ne tient que par un fil…
Avouons-le, pourtant, quelque chose me pèse :
En ne vous aimant pas, comment donc se fait-il
Que je sois aussi gauche, aussi mal à mon aise
Quand vous me regardez de face ou de profil ?
Je ne vous aime pas, je n’aime rien au monde ;
Je suis de fer, je suis de roc, je suis d’airain.
Shakespeare a dit de vous : « Perfide comme l’onde » ;
Mais moi je n’ai pas peur, car j’ai le pied marin.
Pourtant quand vous parlez, ô ma sirène blonde,
Quand vous parlez, mon cœur bat comme un tambourin.
Je ne vous aime pas, c’est dit, je vous déteste,
Je vous crains comme on craint l’enfer, de peur du feu ;
Comme on craint le typhus, le choléra, la peste,
Je vous hais à la mort, madame ; mais, mon Dieu !
Expliquez-moi pourquoi je pleure, quand je reste
Deux jours sans vous parler et sans vous voir un peu.

Alphonse Daudet, Les Amoureuses, 1858
 
Caméo
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« el grito deja en el viento
una sombra de cipres
dejadme en este campo
llorando


le cri laisse au vent
une ombre de cyprès
laissez-moi dans ce camp que je pleure »


Federico García Lorca Poema del Cante Jondo

Poesie / beaux textes



Un samedi​

Poesie / beaux textes

Jean-Pierre Villebramar (contemporain)

ce jour où l’on me fermera les yeux
il y aura dans le ciel de grands nuages
voire
des pluies éparses
on dit
que les âmes n’ont plus de peines
en paradis
et vous ?
Ce jour où l’on me fermera les yeux
il y aura
parmi les faits divers du monde
un tremblement de terre aux Philippines
et des inondations
un tremblement de voix et dans tes yeux
une détresse
un attentat manqué contre la vie
de pauvres hères
et un recul des glaces
de l’arctique
ce jour rappelle-toi, un sanglier
traversait les maïs, nous le sentier
qui va à Compostelle
si on le suit plus loin
il y aura depuis le ciel de Sibérie
ces curieux lacs tout ronds entraperçus
d’une hauteur de quatre mille mètres
tu penses à ceux qui font l’amour
de bon matin
en bas
depuis ton ciel de Sibérie
voilà, c’est tout
ce qui se passera dans notre pauvre tête
puis le silence
avant l’oubli
un jour où vous me fermerez les yeux
un lundi
un mardi
à moins, mais je peux me tromper
que ce ne soit tout simplement
un samedi

Villebramar, 13 juillet 2017 5h10


Condition humaine​

Poèmes sur la condition humaine
Poesie / beaux textes

Gustav Klimt, La vie et la mort, 1916
 
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Poesie / beaux textes

J'attends ...


J'attends. Le vent gémit. Le soir vient. L'heure sonne.
Mon cœur impatient s'émeut. Rien ni personne.
J'attends, les yeux fermés pour ne pas
voir le temps
Passer en déployant les ténèbres. J'attends.
Cédant au sommeil dont la quiétude tente,
J'ai passé cette nuit en un rêve d'attente.
Le jour est apparu baigné d'or pourpre et vif,
Comme hier, comme avant, mon cœur bat attentif.
Et je suis énervé d'attendre, sans comprendre,
Comme hier et demain, ce que je puis attendre.
J'interroge mon cœur, qui ne répond pas bien ...
Ah ! qu'il est douloureux d'attendre toujours - rien !


Albert Lozeau (1878-1924)
Poesie / beaux textes
 

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