Depuis six mille ans la guerre...
Depuis six mille ans la guerre
Plait aux peuples querelleurs,
Et Dieu perd son temps à faire
Les étoiles et les fleurs.
Les conseils du ciel immense,
Du lys pur, du nid doré,
N'ôtent aucune démence
Du coeur de l'homme effaré.
Les carnages, les victoires,
Voilà notre grand amour ;
Et les multitudes noires
Ont pour grelot le tambour.
La gloire, sous ses chimères
Et sous ses chars triomphants,
Met toutes les pauvres mères
Et tous les petits enfants.
Notre bonheur est farouche ;
C'est de dire : Allons ! mourons !
Et c'est d'avoir à la bouche
La salive des clairons.
L'acier luit, les bivouacs fument ;
Pâles, nous nous déchaînons ;
Les sombres âmes s'allument
Aux lumières des canons.
Et cela pour des altesses
Qui, vous à peine enterrés,
Se feront des politesses
Pendant que vous pourrirez,
Et que, dans le champ funeste,
Les chacals et les oiseaux,
Hideux, iront voir s'il reste
De la chair après vos os !
Aucun peuple ne tolère
Qu'un autre vive à côté ;
Et l'on souffle la colère
Dans notre imbécillité.
C'est un Russe ! Egorge, assomme.
Un Croate ! Feu roulant.
C'est juste. Pourquoi cet homme
Avait-il un habit blanc ?
Celui-ci, je le supprime
Et m'en vais, le coeur serein,
Puisqu'il a commis le crime
De naître à droite du Rhin.
Rosbach ! Waterloo ! Vengeance !
L'homme, ivre d'un affreux bruit,
N'a plus d'autre intelligence
Que le massacre et la nuit.
On pourrait boire aux fontaines,
Prier dans l'ombre à genoux,
Aimer, songer sous les chênes ;
Tuer son frère est plus doux.
On se hache, on se harponne,
On court par monts et par vaux ;
L'épouvante se cramponne
Du poing aux crins des chevaux.
Et l'aube est là sur la plaine !
Oh ! j'admire, en vérité,
Qu'on puisse avoir de la haine
Quand l'alouette a chanté...
— Victor Hugo (1802-1885)
Les chansons des rues et des bois
Échos du Chaos...
La planète tourne, inlassable.
Sous les satellites silencieux,
des algorithmes invisibles,
écrivent la prochaine tragédie.
Six mille ans, disent-ils, la même danse macabre.
Mais aujourd'hui, les épées sont de pixels,
les boucliers, des écrans froids,
et le sang numérique, un simple bug dans le flux.
Les champs de bataille sont partout :
dans les ruelles où l'on tremble,
sur les forums où la haine s'enflamme,
derrière les casques où la mort se simule.
La poussière de la ville éventrée,
mêle son souffle à l'odeur du clic,
de l'alerte virale, du fil d'infos toxique.
Et l'homme, ivre de sa propre fureur,
ne voit plus que le like morbide sur l'horreur.
Les mères, oui, les mères, celles d'hier et d'aujourd'hui,[Sollune12578+].
regardent l'écran, le portable vibrant,
et l'image figée d'un enfant qui ne sourit plus.
Leur cri n'est pas audible dans l'écho,
mais il traverse les fibres optiques, silencieux.
Pendant que des chefs, trop loin des gravats,
négocient les lignes, tracent les frontières,
dans des salons feutrés, au son des cuillères.
Et le deuil s'écoule, anonyme, sous les projecteurs des caméras.
Pourtant, le soleil se lève.
Le matin dépose l'or sur les toits.
Un oiseau siffle, insouciant, son refrain éternel.
Les fleurs ouvrent leurs paupières au vent léger.
Comment tant de rage, tant de soif de ruine,
peut-elle encore habiter le cœur de l'humain,
Quand la vie murmure son secret, simple et divin ?
Le crime n'est plus de naître à droite d'un fleuve,
mais de refuser la main tendue, de croire à l'épreuve,
Sans fin...(°_o)...