Poésie Poesie / beaux textes

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Une nuit à Bruxelles​


Victor Hugo

Aux petits incidents il faut s’habituer.
Hier on est venu chez moi pour me tuer.
Mon tort dans ce pays c’est de croire aux asiles.
On ne sait quel ramas de pauvres imbéciles
S’est rué tout à coup la nuit sur ma maison.
Les arbres de la place en eurent le frisson,
Mais pas un habitant ne bougea. L’escalade
Fut longue, ardente, horrible, et Jeanne était malade.
Je conviens que j’avais pour elle un peu d’effroi.
Mes deux petits-enfants, quatre femmes et moi,
C’était la garnison de cette forteresse.
Rien ne vint secourir la maison en détresse.
La police fut sourde ayant affaire ailleurs.
Un dur caillou tranchant effleura Jeanne en pleurs.
Attaque de chauffeurs en pleine Forêt-Noire.
Ils criaient : Une échelle ! une poutre ! victoire !
Fracas où se perdaient nos appels sans écho.
Deux hommes apportaient du quartier Pachéco
Une poutre enlevée à quelque échafaudage.
Le jour naissant gênait la bande. L’abordage
Cessait, puis reprenait. Ils hurlaient haletants.
La poutre par bonheur n’arriva pas à temps.
» Assassin ! – C’était moi. – Nous voulons que tu meures !
Brigand ! Bandit ! » Ceci dura deux bonnes heures.
George avait calmé Jeanne en lui prenant la main.
Noir tumulte. Les voix n’avaient plus rien d’humain ;
Pensif, je rassurais les femmes en prières,
Et ma fenêtre était trouée à coups de pierres.
Il manquait là des cris de vive l’empereur !
La porte résista battue avec fureur.
Cinquante hommes armés montrèrent ce courage.
Et mon nom revenait dans des clameurs de rage :
A la lanterne ! à mort ! qu’il meure ! il nous le faut !
Par moments, méditant quelque nouvel assaut,
Tout ce tas furieux semblait reprendre haleine ;
Court répit ; un silence obscur et plein de haine
Se faisait au milieu de ce sombre viol ;
Et j’entendais au loin chanter un rossignol.

Victor Hugo, L’année terrible
 
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L’Artois​

Jules Breton (1827/1906) Peintre.

Poesie / beaux textes

Autoportrait.

À José-Maria de Heredia.



I
J’aime mon vieil Artois aux plaines infinies,
Champs perdus dans l’espace où s’opposent, mêlés,
Poèmes de fraîcheur et fauves harmonies,
Les lins bleus, lacs de fleurs, aux verdures brunies,
L’oeillette, blanche écume, à l’océan des blés.
Au printemps, les colzas aux gais bouquets de chrome,
De leur note si vive éblouissent les yeux ;
Des mousses de velours émaillent le vieux chaume,
Et sur le seuil béni que la verdure embaume
On voit s’épanouir de beaux enfants joyeux.
Chérubins de village avec leur tête ronde,
Leurs cheveux flamboyants qu’allume le soleil ;
De sa poudre dorée un rayon les inonde.
Quelle folle clameur pousse leur troupe blonde,
Quel rire éblouissant et quel éclat vermeil !
Quand nos ciels argentés et leur douce lumière
Ont fait place à l’azur si sombre de l’été ;
Quand les ormes sont noirs, qu’à sec est la rivière ;
Près du chemin blanchi, quand, grise de poussière,
La fleur se crispe et meurt de soif, d’aridité ;
Dans sa fureur l’Été, soufflant sa chaude haleine,
Exaspère la vie et l’enivre de feu ;
Mais si notre sang bout et brûle notre veine,
Bientôt nous rafraîchit la nuit douce et sereine,
Où les mondes ardents scintillent dans le bleu.
II
Artois aux gais talus où les chardons foisonnent,
Entremêlant aux blés leurs têtes de carmin ;
Je t’aime quand, le soir, les moucherons bourdonnent,
Quand tes cloches, au loin, pieusement résonnent,
Et que j’erre au hasard, tout seul sur le chemin.
J’aime ton grand soleil qui se couche dans l’herbe ;
Humilité, splendeur, tout est là, c’est le Beau ;
Le sol fume ; et c’est l’heure où s’en revient, superbe,
La glaneuse, le front couronné de sa gerbe
Et de cheveux plus noirs que l’aile d’un corbeau.
C’est une enfant des champs, âpre, sauvage et fière ;
Et son galbe fait bien sur ce simple décor,
Alors que son pied nu soulève la poussière,
Qu’agrandie et mêlée au torrent de lumière,
Se dressant sur ses reins, elle prend son essor.
C’est elle. Sur son sein tombent des plis de toile ;
Entre les blonds épis rayonne son oeil noir ;
Aux franges de la nue ainsi brille une étoile ;
Phidias eût rêvé le chef-d’oeuvre que voile
Cette jupe taillée à grands coups d’ébauchoir.
Laissant à l’air flotter l’humble tissu de laine,
Elle passe, et gaîment brille la glane d’or,
Et le soleil rougit sur sa face hautaine.
Bientôt elle se perd dans un pli de la plaine,
Et le regard charmé pense la voir encor.
III
Voici l’ombre qui tombe, et l’ardente fournaise
S’éteint tout doucement dans les flots de la nuit,
Au rideau sourd du bois attachant une braise
Comme un suprême adieu. Tout se voile et s’apaise,
Tout devient idéal, forme, couleur et bruit.
Et la lumière avare aux détails se refuse ;
Le dessin s’ennoblit, et, dans le brun puissant,
Majestueusement le grand accent s’accuse ;
La teinte est plus suave en sa gamme diffuse,
Et la sourdine rend le son plus ravissant.
Miracle d’un instant, heure immatérielle,
Où l’air est un parfum et le vent un soupir !
Au crépuscule ému la laideur même est belle,
Car le mystère est l’art : l’éclat ni l’étincelle
Ne valent un rayon tout prêt à s’assoupir.
Mais la nuit vient voiler les plaines infinies,
L’immensité de brume où s’endorment, mêlés,
Poèmes de fraîcheur et fauves harmonies,
Les lins bleus, lacs de fleurs, les verdures brunies,
L’oeillette, blanche écume, et l’océan des blés.

Jules Breton, Les champs et la mer
 
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Mignonne, allons voir si la rose​


Pierre de Ronsard (1524/1585)
Poesie / beaux textes



A Cassandre

Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avoit desclose
Sa robe de pourpre au Soleil,
A point perdu ceste vesprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vostre pareil.
Las ! voyez comme en peu d’espace,
Mignonne, elle a dessus la place
Las ! las ses beautez laissé cheoir !
Ô vrayment marastre Nature,
Puis qu’une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !
Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que vostre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez vostre jeunesse :
Comme à ceste fleur la vieillesse
Fera ternir vostre beauté.

Pierre de Ronsard, Les Odes
 
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« La Solitude »​


Sabine Sicaud (1913-1928) C'était bien trop jeune pour partir.

Poesie / beaux textes



Solitude … Pour vous cela veut dire seul,
Pour moi – qui saura me comprendre ?
Cela veut dire : vert, vert dru, vivace tendre,
Vert platane, vert calycanthe, vert tilleul.
Mot vert. Silence vert. Mains vertes
De grands arbres penchés, d’arbustes fous ;
Doigts mêlés de rosiers, de lauriers, de bambous,
Pieds de cèdres âgés où se concertent
Les bêtes à Bon Dieu ; rondes alertes
De libellules sur l’eau verte…
Dans l’eau, reflets de marronniers,
D’ifs bruns, de vimes blonds, de longues menthes
Et de jeune cresson ; flaques dormantes
Et courants vifs où rament les « meuniers » ;
Rainettes à ressort et carpes vénérables ;
Martin-pêcheur… En mars, étoiles de pruniers,
De poiriers, de pommiers ; grappes d’érables.
En mai, la fête des ciguës,
Celle des boutons d’or : splendeur des prés.
Clochers blancs des yuccas, lances aiguës
Et tiges douces, chèvrefeuille aux brins serrés,
Vigne-vierge aux bras lourds chargés de palmes,
Et toujours, et partout, fraîche, luisante, calme,
L’invasion du lierre à petits flots lustrés
Gagnant le mur des cours, les carreaux des fenêtres,
Les toits des pavillons vainement retondus…
Lierre nouant au front du chêne, au cou du hêtre,
Ses bouquets de grains noirs comme un piège tendu
À la grive hésitante ; vert royaume
Des merles en habit – royaume qui s’étend
Ainsi que dans un parc de Florence ou de Rome
En nappes d’émeraude et cordages flottants…
Lierre de cette allée au porche de lumière
Dont les platanes séculaires, chaque été,
Font une longue cathédrale verte – lierre
De la grotte en rocaille où dorment abrités
Chaque hiver, les callas et les cactus fragiles ;
Housse, que la poussière blanche de la ville
Givre à peine les soirs de très grand vent – pour moi,
Vert obligé des vieilles pierres,
Des arbres vieux, des toits qui penchent, des vieux toits –
Un château ? Non, Madame, une gentilhommière,
Un ermitage vert qui sent les bois, le foin,
Où les bruits de la route arrivent d’assez loin
Pour n’être plus qu’une musique en demi-teintes.
Un train sur le talus se hâte avec des plaintes,
Mais l’horizon tout rose et mauve qu’il rejoint
Transpose le voyage en couleurs de légende.
On regarde un instant vers ces trains qui s’en vont
Traînant leur barbe grise – et c’est vrai qu’ils répandent
Un peu de nostalgie au fil de l’été blond…
Mais le jazz des moineaux fait rage dans les feuilles,
Les pigeons blancs s’exaltent, le cyprès
Est la tour enchantée où des notes s’effeuillent
Autour du rossignol. Du pré,
Monte la fièvre des grillons, des sauterelles,
Toutes les herbes ont des pattes, ont des ailes –
Et l’Âne et le Cheval 2 de la Fable sont là
Et Chantecler3 se joue en grand gala
Jour et nuit dans la cour où des plumes voltigent.
Au clair de l’eau, c’est l’éternel prodige
Du têtard de velours devenu crapaud d’or,
De la voix de cristal parmi les râpes neuves
D’innombrables grenouilles. Le chat dort.
Dickette – chien s’affaire – et sur leur tête pleuvent
Des pastilles de lune ou de soleil brûlant.
S’il pleut vraiment, la pluie à pleins seaux ruisselants
S’éparpille de même aux doigts verts qui l’arrêtent.
Un tilleul, des bambous. L’abri vert du poète,
Du vert, comprenez-vous ? Pour qu’aux vieilles maisons
Rien ne blesse les yeux sous leurs paupières lasses.
Douceur de l’arbre, de la mousse, du gazon…
Vous dites : Solitude ? Ah ! dans l’heure qui passe,
Est-il rien de vivant plus vivant qu’un jardin,
De plus mystérieux, parfumé, dru, tenace,
Et peuplé – si peuplé qu’il arrive soudain
Qu’on y discourt avec mille petits génies
Sortis l’on ne sait d’où, comme chez Aladin.
Un mot vert… Qui dira la fraîcheur infinie
D’un mot couleur de sève et de source et de l’air
Qui baigne une maison depuis toujours la vôtre,
Un mot désert peut-être et desséché pour d’autres,
Mais pour soi, familier, si proche, tendre, vert
Comme un îlot, un cher îlot dans l’univers ?…

Sabine Sicaud, Les poèmes de Sabine Sicaud, 1958 (Recueil posthume)
 
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Porte ouverte​


Paul Éluard (1895-1952)

Poesie / beaux textes



La vie est bien aimable
Venez à moi, si je vais à vous c’est un jeu,
Les anges des bouquets dont les fleurs changent de couleur.

Paul Eluard, Capitale de la douleur, Répétitions, 1926
 
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Nous verrons​


Paris, 1810. François-René de Chateaubriand (1768-1848)

Poesie / beaux textes




Le passé n’est rien dans la vie,
Et le présent est moins encore :
C’est à l’avenir qu’on se fie
Pour nous donner joie et trésor.
Tout mortel dans ses voeux devance
Cet avenir où nous courons ;
Le bonheur est en espérance,
On vit, en disant : Nous verrons.
Mais cet avenir plein de charmes,
Qu’est-il lorsqu’il est arrivé ?
C’est le présent qui de nos larmes
Matin et soir est abreuvé !
Aussitôt que s’ouvre la scène
Qu’avec ardeur nous désirons,
On bâille, on la regarde à peine ;
On voit, en disant : Nous verrons.
Ce vieillard penche vers la terre ;
Il touche à ses derniers instants :
Y pense-t-il ? Non ; il espère
Vivre encor soixante et dix ans.
Un docteur, fort d’expérience,
Veut lui prouver que nous mourons :
Le vieillard rit de la sentence,
Et meurt en disant : Nous verrons.
Valère et Damis n’ont qu’une âme ;
C’est le modèle des amis.
Valère en un malheur réclame
La bourse et les soins de Damis :
» Je viens à vous, ami sincère,
Ou ce soir au fond des prisons…
– Quoi ! ce soir même ? – Oui ! – Cher Valère,
Revenez demain : Nous verrons. «
Gare ! faites place aux carrosses
Où s’enfle l’orgueilleux manant
Qui jadis conduisait deux rosses
A trente sous, pour le passant.
Le peuple écrasé par la roue
Maudit l’enfant des Porcherons ;
Moi, du prince évitant la boue,
Je me range, et dis : Nous verrons.
Nous verrons est un mot magique
Qui sert dans tous les cas fâcheux :
Nous verrons, dit le politique ;
Nous verrons, dit le malheureux.
Les grands hommes de nos gazettes,
Les rois du jour, les fanfarons,
Les faux amis et les coquettes,
Tout cela vous dit : Nous verrons.

François-René de Chateaubriand, Poésies diverses
 
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Amour qui n’est qu’amour​


Théodore Agrippa d'Aubigné (1552-1630)
Poesie / beaux textes



Stance XXI.

Amour qui n’est qu’amour, qui vit sans espérance,
De soi-même par soi par soi-même agité,
Qui naquit éternel vif à l’éternité
Qui surpasse en aimant l’âme et la connaissance,
Que cet amour est près de la divinité !
On dit qu’amour est feu, le feu est de deux sortes :
L’un se mêle confus avec les éléments,
Pour engendrer, nourrir par leurs tempéraments,
L’autre assiège du Ciel tout céleste les portes,
Prenant en soi la vie et tous ses mouvements.
Le premier s’asservit sous les lois de la nature,
Se mêle, se démêle et se perd quelquefois.
Quand le vivre lui faut, l’autre n’a d’autres lois
Que son cours, son esprit, son âme belle et pure,
Et feu est toujours feu, sans le secours du bois.
L’homme par la raison tient, augmente et possède
Le feu qui n’est vrai feu, mais un bien que des dieux
Le larron Promethée eut le moins précieux,
L’autre qui en beauté tout le dessous excède
Ne pouvant être Ciel est le plus près des Cieux.
Je veux du feu terrestre et de l’élémentaire
Comparer deux amours, dont l’un a pour objet
Un désir, un plaisir, imparfait et abject,
L’autre se mire en soi, et tout seul se veut plaire
Il est la cause et fin, sa vie et son subject.
Amants qui abaissez votre amour de la vue,
Qui l’endormez enfant au berceau du loisir,
De qui le coeur enflé engrossa de désir,
Vous voyez l’espérance à la poitrine nue,
Faire téter amour au lait de son plaisir.
Si votre oeil fasciné un coup se défascine,
Si le coeur perd sa fin ou se contente un jour,
Si fortune effrayant de quelque lâche tour
La nourrice d’amour a séché sa poitrine,
Tout meurt, votre désir, l’espérance et l’amour.
Mais ceux qui sont épris des plus célestes flammes
Ne sont haussés du trop et abaissés du peu,
Leur amour n’est enfant de peu de choses esmeu,
Rien ne le fait mourir : En ces heureuses âmes,
Sans espoir et sans bois vit l’amour et le feu.
Un peu d’eau fait mourir une flamme commune.
Les larmes font mourir les amours et les feux
Des amants espérants, les autres amoureux
Triomphent sur les pleurs, commandent la fortune
Car l’eau est sous le feu comme il est sous les Cieux.
Ah ! que le feu terrestre a sur soi de nuages !
Ah ! que l’autre est couvert d’une belle clarté !
Que l’un a de fumée et l’autre de beauté !
L’un sert même aux enfers, aux peines et aux rages,
L’autre aux Cieux, aux plaisirs de la divinité.
Pour cause, en mon amour j’aime pour ce que j’aime,
J’aime sans désirer que le plaisir d’aimer,
Mon âme par son âme apprend à s’animer,
Je n’espère en aimant rien plus que l’amour même
Et le bois de ce feu ne se peut consumer.
Si on dit votre amour est simple et stérile,
Sans produire, sans croître et est sans action
Le feu pur est ainsi sans dépérition.
S’il ne meurt point, pourquoi doit-il être fertile ?
Croître et diminuer sont imperfection.
Belle divinité qui mon âme a ravie
En ton Ciel avec toi, mon âme a pris des yeux
Pour contempler de toi le beau, le précieux,
Pareil au bienheureux est son heure et sa vie,
Car être au paradis, c’est contempler les dieux.
Mais ne puis-je espérer de mes beaux feux estaindre ?
Mais dois-je désirer d’esteindre ces beaux feux ?
Non, c’est ne vouloir point le plaisir que je veux,
Je ne puis le vouloir et n’oserais le craindre,
Mon amour ne craint pis et n’espère rien mieux.
Je vois de mon beau ciel les espérances vaines
Des amants abusés, l’un ne peut s’esjouir.
Possédant un défaut, l’autre ne peut fuir
Le manque et l’imparfait des amitiés humaines
Et l’amour sans l’espoir est plus que le jouir.
Je ne désire rien, que faut-il que j’espère ?
Et je n’espère rien, que puis-je désirer ?
Mon amour sait ravie, et non par martyrer,
Et sur mon bien parfait, qu’est-ce qui me peut plaire ?
Si mon bien ne peut croître, il ne peut empirer.
L’élément en hauteur surpasse toute flamme,
Le feu est le plus sûr de tous les éléments,
Mon âme aime plus haut que tous entendements,
Il n’est rien de si beau que le beau de ma dame,
Elle efface tous beau, et moi tous les amants.

Théodore Agrippa d’Aubigné, Stances
 
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Été : être pour quelques jours

Été : être pour quelques jours
le contemporain des roses ;
respirer ce qui flotte autour
de leurs âmes écloses.

Faire de chacune qui se meurt
une confidente,
et survivre à cette soeur
en d'autres roses absente.

— Rainer Maria Rilke, Les roses
 
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Vœux simples​

Cécile Sauvage (1883-1927)
Poesie / beaux textes



Vivre du vert des prés et du bleu des collines,
Des arbres racineux qui grimpent aux ravines,
Des ruisseaux éblouis de l’argent des poissons ;
Vivre du cliquetis allègre des moissons,
Du clair halètement des sources remuées,
Des matins de printemps qui soufflent leurs buées,
Des octobres semeurs de feuilles et de fruits
Et de l’enchantement lunaire au long des nuits
Que disent les crapauds sonores dans les trèfles.
Vivre naïvement de sorbes et de nèfles,
Gratter de la spatule une écuelle en bois,
Avoir les doigts amers ayant gaulé des noix
Et voir, ronds et crémeux, sur l’émail des assiettes,
Des fromages caillés couverts de sarriettes.
Ne rien savoir du monde où l’amour est cruel,
Prodiguer des baisers sagement sensuels
Ayant le goût du miel et des roses ouvertes
Ou d’une aigre douceur comme les prunes vertes
À l’ami que bien seule on possède en secret.
Ensemble recueillir le nombre des forêts,
Caresser dans son or brumeux l’horizon courbe,
Courir dans l’infini sans entendre la tourbe
Bruire étrangement sous la vie et la mort,
Ignorer le désir qui ronge en vain son mors,
La stérile pudeur et le tourment des gloses ;
Se tenir embrassés sur le néant des choses
Sans souci d’être grands ni de se définir,
Ne prendre de soleil que ce qu’on peut tenir
Et toujours conservant le rythme et la mesure
Vers l’accomplissement marcher d’une âme sûre.
Voir sans l’interroger s’écouler son destin,
Accepter les chardons s’il en pousse en chemin,
Croire que le fatal a décidé la pente
Et faire simplement son devoir d’eau courante.
Ah ! vivre ainsi, donner seulement ce qu’on a,
Repousser le rayon que l’orgueil butina,
N’avoir que robe en lin et chapelet de feuilles,
Mais jouir en son plein de la figue qu’on cueille,
Avoir comme une nonne un sentiment d’oiseau,
Croire que tout est bon parce que tout est beau,
Semer l’hysope franche et n’aimer que sa joie
Parmi l’agneau de laine et la chèvre de soie.

Cécile Sauvage, Tandis que la terre tourne
 
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Vénus de Milo​

Charles Leconte de Lisle (1818-1894)

Poesie / beaux textes


Marbre sacré, vêtu de force et de génie,
Déesse irrésistible au port victorieux,
Pure comme un éclair et comme une harmonie,
O Vénus, ô beauté, blanche mère des Dieux !
Tu n’es pas Aphrodite, au bercement de l’onde,
Sur ta conque d’azur posant un pied neigeux,
Tandis qu’autour de toi, vision rose et blonde,
Volent les Rires d’or avec l’essaim des Jeux.
Tu n’es pas Kythérée, en ta pose assouplie,
Parfumant de baisers l’Adonis bienheureux,
Et n’ayant pour témoins sur le rameau qui plie
Que colombes d’albâtre et ramiers amoureux.
Et tu n’es pas la Muse aux lèvres éloquentes,
La pudique Vénus, ni la molle Astarté
Qui, le front couronné de roses et d’acanthes,
Sur un lit de lotos se meurt de volupté.
Non ! les Rires, les Jeux, les Grâces enlacées,
Rougissantes d’amour, ne t’accompagnent pas.
Ton cortège est formé d’étoiles cadencées,
Et les globes en choeur s’enchaînent sur tes pas.
Du bonheur impassible ô symbole adorable,
Calme comme la Mer en sa sérénité,
Nul sanglot n’a brisé ton sein inaltérable,
Jamais les pleurs humains n’ont terni ta beauté.
Salut ! A ton aspect le coeur se précipite.
Un flot marmoréen inonde tes pieds blancs ;
Tu marches, fière et nue, et le monde palpite,
Et le monde est à toi, Déesse aux larges flancs !
Iles, séjour des Dieux ! Hellas, mère sacrée !
Oh ! que ne suis-je né dans le saint Archipel,
Aux siècles glorieux où la Terre inspirée
Voyait le Ciel descendre à son premier appel !
Si mon berceau, flottant sur la Thétis antique,
Ne fut point caressé de son tiède cristal ;
Si je n’ai point prié sous le fronton attique,
Beauté victorieuse, à ton autel natal ;
Allume dans mon sein la sublime étincelle,
N’enferme point ma gloire au tombeau soucieux ;
Et fais que ma pensée en rythmes d’or ruisselle,
Comme un divin métal au moule harmonieux.

Charles Leconte de Lisle, Poèmes antiques
 
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Complainte amoureuse​


Poesie / beaux textes


Alphonse Allais

Oui, dès l’instant que je vous vis,
Beauté féroce, vous me plûtes ;
De l’amour qu’en vos yeux je pris,
Sur-le-champ vous vous aperçûtes ;
Mais de quel air froid vous reçûtes
Tous les soins que pour vous je pris !
Combien de soupirs je rendis !
De quelle cruauté vous fûtes !
Et quel profond dédain vous eûtes
Pour les vœux que je vous offris !
En vain je priai, je gémis :
Dans votre dureté vous sûtes
Mépriser tout ce que je fis.
Même un jour je vous écrivis
Un billet tendre que vous lûtes,
Et je ne sais comment vous pûtes
De sang-froid voir ce que j’y mis.
Ah! fallait-il que je vous visse,
Fallait-il que vous me plussiez,
Qu’ingénument je vous le disse,
Qu’avec orgueil vous vous tussiez !
Fallait-il que je vous aimasse,
Que vous me désespérassiez,
Et qu’en vain je m’opiniâtrasse,
Et que je vous idolâtrasse
Pour que vous m’assassinassiez !

Alphonse Allais (1854-1905)
 
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L’Autre – Poème inédit commandé par le Printemps des Poètes 2008


Andrée Chedid ( 1920-2011 )
Poesie / beaux textes



« Je est un autre. » Arthur R.

À force de m’écrire
Je me découvre un peu
Je recherche l’Autre
J’aperçois au loin
La femme que j’ai été
Je discerne ses gestes
Je glisse sur ses défauts
Je pénètre à l’intérieur
D’une conscience évanouie
J’explore son regard
Comme ses nuits
Je dépiste et dénude un ciel
Sans réponse et sans voix
Je parcours d’autres domaines
J’invente mon langage
Et m’évade en Poésie
Retombée sur ma Terre
J’y répète à voix basse
Inventions et souvenirs
À force de m’écrire
Je me découvre un peu
Et je retrouve l’Autre.

Andrée Chedid
 
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Les reflets

Comme un reflet
Dans les yeux du pêcheur
La couleur de la mer,

En cette fin de soirée,
Il a offert à son fils
Le meilleur anniversaire,

Heureux de l’avoir attrapée
Dans son seau d’eau
L’enfant repart avec la lune.

— Stéphen Moysan
En route vers l'horizon
 

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