Poésie Poesie / beaux textes

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Nous verrons​


François-René de Chateaubriand


Paris, 1810.

Le passé n’est rien dans la vie,
Et le présent est moins encor :
C’est à l’avenir qu’on se fie
Pour nous donner joie et trésor.
Tout mortel dans ses voeux devance
Cet avenir où nous courons ;
Le bonheur est en espérance,
On vit, en disant : Nous verrons.
Mais cet avenir plein de charmes,
Qu’est-il lorsqu’il est arrivé ?
C’est le présent qui de nos larmes
Matin et soir est abreuvé !
Aussitôt que s’ouvre la scène
Qu’avec ardeur nous désirons,
On bâille, on la regarde à peine ;
On voit, en disant : Nous verrons.
Ce vieillard penche vers la terre ;
Il touche à ses derniers instants :
Y pense-t-il ? Non ; il espère
Vivre encor soixante et dix ans.
Un docteur, fort d’expérience,
Veut lui prouver que nous mourons :
Le vieillard rit de la sentence,
Et meurt en disant : Nous verrons.
Valère et Damis n’ont qu’une âme ;
C’est le modèle des amis.
Valère en un malheur réclame
La bourse et les soins de Damis :
» Je viens à vous, ami sincère,
Ou ce soir au fond des prisons…
– Quoi ! ce soir même ? – Oui ! – Cher Valère,
Revenez demain : Nous verrons. «
Gare ! faites place aux carrosses
Où s’enfle l’orgueilleux manant
Qui jadis conduisait deux rosses
A trente sous, pour le passant.
Le peuple écrasé par la roue
Maudit l’enfant des Porcherons ;
Moi, du prince évitant la boue,
Je me range, et dis : Nous verrons.
Nous verrons est un mot magique
Qui sert dans tous les cas fâcheux :
Nous verrons, dit le politique ;
Nous verrons, dit le malheureux.
Les grands hommes de nos gazettes,
Les rois du jour, les fanfarons,
Les faux amis et les coquettes,
Tout cela vous dit : Nous verrons.

François-René de Chateaubriand, Poésies diverses
 
A
Apocalyptica
Anonyme
Le "Nous verrons" murmure,
écho d'une humanité qui rêve,
qui fuit le "maintenant" si dur.
Le bonheur, voile sur la grève,
toujours au-delà, jamais pris.

Mais l'univers danse sans pause,
la Terre, un grain dans son cours.
Le sablier s'écoule, impose,
l'instant, l'unique, sans détour.
Ne plus attendre, mais "être" ...
 
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Poesie / beaux textes

Tous les ans.. les perles du bac, il y a des choses qui ne changent pas..
Un marronnier bien "sympathique" :)
 
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Première soirée

Elle était fort déshabillée
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leur feuillée
Malinement, tout près, tout près.

Assise sur ma grande chaise,
Mi-nue, elle joignait les mains.
Sur le plancher frissonnaient d’aise
Ses petits pieds si fins, si fins.

– Je regardai, couleur de cire
Un petit rayon buissonnier
Papillonner dans son sourire
Et sur son sein, – mouche ou rosier.

– Je baisai ses fines chevilles.
Elle eut un doux rire brutal
Qui s’égrenait en claires trilles,
Un joli rire de cristal.

Les petits pieds sous la chemise
Se sauvèrent : « Veux-tu en finir ! »
– La première audace permise,
Le rire feignait de punir !

– Pauvrets palpitants sous ma lèvre,
Je baisai doucement ses yeux :
– Elle jeta sa tête mièvre
En arrière : « Oh ! c’est encore mieux !

Monsieur, j’ai deux mots à te dire… »
– Je lui jetai le reste au sein
Dans un baiser, qui la fit rire
D’un bon rire qui voulait bien…

– Elle était fort déshabillée
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leur feuillée
Malinement, tout près, tout près.


— Arthur Rimbaud (1854-1891) - 1er texte du Cahier de Douai
 
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L’Avare qui a perdu son trésor​

Poesie / beaux textes

Jean de La Fontaine (1621-1695)

L’Usage seulement fait la possession.
Je demande à ces gens de qui la passion
Est d’entasser toujours, mettre somme sur somme,
Quel avantage ils ont que n’ait pas un autre homme.
Diogène là-bas est aussi riche qu’eux,
Et l’avare ici-haut comme lui vit en gueux.
L’homme au trésor caché qu’Esope nous propose,
Servira d’exemple à la chose.
Ce malheureux attendait
Pour jouir de son bien une seconde vie ;
Ne possédait pas l’or, mais l’or le possédait.
Il avait dans la terre une somme enfouie,
Son coeur avec, n’ayant autre déduit
Que d’y ruminer jour et nuit,
Et rendre sa chevance à lui-même sacrée.
Qu’il allât ou qu’il vînt, qu’il bût ou qu’il mangeât,
On l’eût pris de bien court, à moins qu’il ne songeât
A l’endroit où gisait cette somme enterrée.
Il y fit tant de tours qu’un Fossoyeur le vit,
Se douta du dépôt, l’enleva sans rien dire.
Notre Avare un beau jour ne trouva que le nid.
Voilà mon homme aux pleurs ; il gémit, il soupire.
Il se tourmente, il se déchire.
Un passant lui demande à quel sujet ses cris.
C’est mon trésor que l’on m’a pris.
– Votre trésor ? où pris ? – Tout joignant cette pierre.
– Eh ! sommes-nous en temps de guerre,
Pour l’apporter si loin ? N’eussiez-vous pas mieux fait
De le laisser chez vous en votre cabinet,
Que de le changer de demeure ?
Vous auriez pu sans peine y puiser à toute heure.
– A toute heure ? bons Dieux ! ne tient-il qu’à cela ?
L’argent vient-il comme il s’en va ?
Je n’y touchais jamais. – Dites-moi donc, de grâce,
Reprit l’autre, pourquoi vous vous affligez tant,
Puisque vous ne touchiez jamais à cet argent :
Mettez une pierre à la place,
Elle vous vaudra tout autant.

Jean de La Fontaine, Le Fables

Avarice​

Poèmes sur l’avarice

Poesie / beaux textes


Thomas Couture, Soif de l'or, 1844
 
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Ville morte​

Poesie / beaux textes

Albert Samain (1858-1900)

Vague, perdue au fond des sables monotones,
La ville d’autrefois, sans tours et sans remparts,
Dort le sommeil dernier des vieilles Babylones,
Sous le suaire blanc de ses marbres épars.
Jadis elle régnait ; sur ses murailles fortes
La Victoire étendait ses deux ailes de fer.
Tous les peuples d’Asie assiégeaient ses cent portes ;
Et ses grands escaliers descendaient vers la mer…
Vide à présent, et pour jamais silencieuse,
Pierre à pierre, elle meurt, sous la lune pieuse,
Auprès de son vieux fleuve ainsi qu’elle épuisé,
Et, seul, un éléphant de bronze, en ces désastres,
Droit encore au sommet d’un portique brisé,
Lève tragiquement sa trompe vers les astres.

Albert Samain, Au jardin de l’infante


Un coin pour s’aimern​

Poesie / beaux textes

Nashmia Noormohamed (1977-

C’est ce banc dans un jardin, c’est cette pierre sur le chemin, c’est ce coin dans un couloir, c’est cette marche sur l’escalier, c’est cet arbre dans un parc, c’est cet ascenseur dans l’immeuble, c’est cet endroit-là, celui du premier baiser.
Et ces lieux, sont les témoins de ces amours, ils voient passer les amants au premier jour de leurs idylles, ils entendent leurs innocentes et tendres promesses, soufflées à l’aube de leurs naissantes romances juvéniles.
Et en ces lieux si souverains, l’amour si jeune, habite l’instant, il s’approprie ces espaces temporels, il s’installe dans ces théâtres, ses quartiers, pour l’éternité, y loge tous ses espoirs et tous ses rêves, ses futurs souvenirs envoûtés.
Et c’est ainsi, qu’un beau jour, rien qu’en entendant évoquer, ne serait-ce que le nom d’un de ces lieux magiques et sacrés, les souvenirs battent le rappel; un pincement au coeur et le regard vague, l’amant se souvient la passade, si fugace fût-elle.

Nashmia Noormohamed, 2016


Nostalgie​

Poèmes sur la nostalgie
Poesie / beaux textes

Claude Monet, Train dans la neige, 1875
 
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J’avais peur de la paix.
Tellement peur que j’étais la meilleure à la guerre.
Contre moi, contre le reste du monde.
On m’a conditionné à être un loup.
On m’a pas autorisé à être fragile.
Du coup je me suis foutue un masque de guerre.
Si le chaos est une normalité,
Si la claque, la punition et les menaces sont ton quotidien,
Ton mode survie est activé.
Tu ne le sais pas, jusqu’au jour où
Tu baisses les armes.
Tu déposes ce masque, un peu épuisée, tu regardes en arrière,
Et tu sais que tu as tout à déconstruire.
C’est long, c’est laborieux, c’est inconfortable.
Le jour où tu te montres vulnérable,
Comme un mollusque sans sa coquille, comme un loup sans dent,
Comme un ballon entouré d’aiguille,
Le monde te semble compliqué.
J’ai appris qu’il ne fallait jamais se fier à l’apparence.
À ce que quelqu’un voulait ou pas montrer de lui.
Que les faux masques étaient bien plus nombreux que les vrais sourires.
J’ai appris qu’on se barricadait en fonction de nos blessures, uniquement en fonction d’elles.
J’avais peur de la paix,
Car je n’avais été aimé que dans le chaos, les éclats, et la soumission.
Être une reine n’était pas une option.
Être moi même non plus.
Être un mouton n’était pas dans mon tempérament.
J’avais peur de la paix car elle indiquait que je devais me trouver moi.
Laisser toutes les pelures des autres,
Mon bouclier de m*rde,
Ma carapace cabossée.
Effacer ce qu’on avait fait de moi,
Pour laisser la place à celle qui n’osait rien.
La peur est une alimentation des plus féroces,
La dépasser est encore plus fort.
Je sais maintenant qui je suis.
Ni le loup, ni l’agneau.
Juste une humaine, avec ses sentiments, ses fardeaux, ses cadeaux, ses hiers, et ses espoirs.
Et c’est déjà pas mal.
La dame aux bons mots.
Cyrielle Soares
Poesie / beaux textes
 
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Un oiseau s’envole
Poesie / beaux textes

Paul Eluard (1895-1952)

Un oiseau s’envole,
II rejette les nues comme un voile inutile,
II n’a jamais craint la lumière,
Enfermé dans son vol
II n’a jamais eu d’ombre.
Coquilles des moissons brisées par le soleil.
Toutes les feuilles dans les bois disent oui,
Elles ne savent dire que oui,
Toute question, toute réponse
Et la rosée coule au fond de ce oui.
Un homme aux yeux légers décrit le ciel d’amour.
Il en rassemble les merveilles
Comme des feuilles dans un bois,
Comme des oiseaux dans leurs ailes
Et des hommes dans le sommeil.

Paul Eluard



Travail bienheureux​

Poesie / beaux textes

Chloe Douglas (1960-

Je choisis
la marche en arrière
pour arriver au sommet
de mes pensées.
Pour ce moment de liberté,
Je grimperais trois fois,
et chaque fois
d’un différent coté.
Je n’ai besoin
de luxes
pour me sentir
satisfaite.
Seulement
le travail
que je dois faire dans ma tête
me donne des espoirs.
Et qu’importe la sueur
pour comprendre
que j’existe
dans ce monde éphémère.
je n’ai pas besoin de gloire,
aucune jalousie,
tout est possible
dans mon esprit libre.
L’union humaine
est une merveille,
avec du travail devient
le miel de l’abeille.

Chloe Douglas, 2010

Liberté​

Poèmes sur la liberté
Poesie / beaux textes

Konstantin Somov, Porte ouverte sur un jardin, 1934
 
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Sache que je ne t’aime pas et que je t’aime
Sache que je ne t’aime pas et que je t’aime
puisque est double la façon d’être de la vie,
puisque la parole est une aile du silence,
et qu’il est dans le feu une moitié de froid.
Moi je t’aime afin de commencer à t’aimer,
afin de pouvoir recommencer l’infini
et pour que jamais je ne cesse de t’aimer :
c’est pour cela que je ne t’aime pas encore.
Je t’aime et je ne t’aime pas, c’est comme si
j’avais entre mes deux mains les clés du bonheur
et un infortuné, un incertain destin.
Mon amour a deux existences pour t’aimer.
Pour cela je t’aime quand je ne t’aime pas
et c’est pour cela que je t’aime quand je t’aime.

Pablo Neruda
 
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Regrets​

Poesie / beaux textes

Esther Granek (1927-2016)

Tu vois,
Un jour est passé.
Quel beau jour c’était !
Mais tu l’ignorais.
Tu vois,
Bien qu’à ta portée,
Tu l’as laissé là
Car tu ne savais.
Tu vois,
Ce jour-là s’offrait.
Fallait lui parler.
Et qu’en as-tu fait ?
Tu vois,
Il resta muet
et terne d’aspect
comme tant de journées.
Tu vois,
Fallait l’inviter.
Fallait le bercer
Et t’y réchauffer.
Tu vois,
Fallait t’y lover
Et t’en imprégner.
Il t’appartenait.
Tu vois,
Il s’en est allé
Et trop tard tu sais
Qu’il ensoleillait.
Tu vois,
Un jour est passé.
Et tu regrettas.
Quel beau jour c’était !…

Esther Granek, Ballades et réflexions à ma façon, 1978





Porte ouverte​

Poesie / beaux textes

Paul Eluard (1895-1952)

La vie est bien aimable
Venez à moi, si je vais à vous c’est un jeu,
Les anges des bouquets dont les fleurs changent de couleur.

Paul Eluard, Capitale de la douleur, Répétitions, 1926



Carpe diem​

Poèmes carpe diem (‘profite du présent’)
Poesie / beaux textes

Philippe de Champaigne, Vanité, 1644
 
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Nuits de juin

L’été, lorsque le jour a fui, de fleurs couverte
La plaine verse au loin un parfum enivrant ;
Les yeux fermés, l’oreille aux rumeurs entrouverte,
On ne dort qu’à demi d’un sommeil transparent.

Les astres sont plus purs, l’ombre paraît meilleure ;
Un vague demi-jour teint le dôme éternel ;
Et l’aube douce et pâle, en attendant son heure,
Semble toute la nuit errer au bas du ciel.

— Victor Hugo (1802-1885) - Les rayons et les ombres
 
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Voix dénouée​

Poesie / beaux textes

Michelle Grenier (Contemporaine)

Crache le caillot rancœur
Qui égorge ta voix
Voix des tessons
Toutes les voix de la nature
Tatouées fêlures.
Hululement de chat-huant
Entre chien et loup
Quel hurlement a mordu les ombres ?
Combien de cris encore
Surgis du chaudron des puits ?
Laisse monter ta voix des limons
Opéra des bas fonds.
Ô que jaillisse
Ton cri démuselé,
Débâillonné.
Ton cri porté plus haut
Langue des éboulis
Écho entre deux pierres
Silex où le feu s’allume
Chant pétri de beauté
Blues de tous les naufrages
Cette voix levée d’entre les vagues
Une déferlante

Michelle Grenier


Une barque​

Poesie / beaux textes

Didier Venturini (Contemporain)

Une barque, une coquille
Dans la gueule de l’enfer
L’océan l’écarquille
La prend dans ses revers
Une barque à la dérive
Qui fuit d’là où çà flotte
L’espoir d’une autre rive
L’espoir d’un antidote
Une barque sans matelot
Sans boussole, sans compas
Qui ronge un dernier flot
L’Europe est ce bien par là ?
Une barque pleine de galères
Qui rame comme un forçat
Pour un morceau de terre
Une manche avec son bras
Une barque, une brindille
Une bouteille à la mer
Du fil pour un exil
Qu’il reprise la misère
Une barque qui s’fait la baille
Qu’a peur d’être un cercueil
Ou rien qu’un feu de paille
Sur une terre d’écueil
Une barque, une coquille
Dans la gueule de l’enfer

Didier Venturini, Cordes et Ficelles, 2018




Sardines à l’huile​


Poesie / beaux textes

Georges Fourest (1864-1945)

Dans leur cercueil de fer-blanc
plein d’huile au puant relent
marinent décapités
ces petits corps argentés
pareils aux guillotinés
là-bas au champ des navets !
Elles ont vu les mers, les
côtes grises de Thulé,
sous les brumes argentées
la Mer du Nord enchantée…
Maintenant dans le fer-blanc
et l’huile au puant relent
de toxiques restaurants
les servent à leurs clients !
Mais loin derrière la nue
leur pauvre âmette ingénue
dit sa muette chanson
au Paradis-des-poissons,
une mer fraîche et lunaire
pâle comme un poitrinaire,
la Mer de Sérénité
aux longs reflets argentés
où durant l’éternité,
sans plus craindre jamais les
cormorans et les filets,
après leur mort nageront
tous les bons petits poissons !…
Sans voix, sans mains, sans genoux
sardines, priez pour nous !…

Georges Fourest, La Négresse blonde, 1909

Mer​

Poèmes sur la mer et les océans

Poesie / beaux textes

Thomas Moran, La mer en colère, 1911
 
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« Le désespoir », Alphonse de Lamartine​


« Lorsque du Créateur la parole féconde,
Dans une heure fatale, eut enfanté le monde
Des germes du chaos,
De son oeuvre imparfaite il détourna sa face,
Et d'un pied dédaigneux le lançant dans l'espace,
Rentra dans son repos.

Va, dit-il, je te livre à ta propre misère ;
Trop indigne à mes yeux d'amour ou de colère,
Tu n'es rien devant moi.
Roule au gré du hasard dans les déserts du vide ;
Qu'à jamais loin de moi le destin soit ton guide,
Et le Malheur ton roi.

Il dit : comme un vautour qui plonge sur sa proie,
Le Malheur, à ces mots, pousse, en signe de joie,
Un long gémissement ;
Et pressant l'univers dans sa serre cruelle,
Embrasse pour jamais de sa rage éternelle
L'éternel aliment.

Le mal dès lors régna dans son immense empire ;
Dès lors tout ce qui pense et tout ce qui respire
Commença de souffrir ;
Et la terre, et le ciel, et l'âme, et la matière,
Tout gémit : et la voix de la nature entière
Ne fut qu'un long soupir.

Levez donc vos regards vers les célestes plaines,
Cherchez Dieu dans son oeuvre, invoquez dans vos peines
Ce grand consolateur,
Malheureux ! sa bonté de son oeuvre est absente,
Vous cherchez votre appui ? l'univers vous présente
Votre persécuteur.

De quel nom te nommer, ô fatale puissance ?
Qu'on t'appelle destin, nature, providence,
Inconcevable loi !
Qu'on tremble sous ta main, ou bien qu'on la blasphème,
Soumis ou révolté, qu'on te craigne ou qu'on t'aime,
Toujours, c'est toujours toi !

Hélas ! ainsi que vous j'invoquai l'espérance ;
Mon esprit abusé but avec complaisance
Son philtre empoisonneur ;
C'est elle qui, poussant nos pas dans les abîmes,
De festons et de fleurs couronne les victimes
Qu'elle livre au Malheur.

Si du moins au hasard il décimait les hommes,
Ou si sa main tombait sur tous tant que nous sommes
Avec d'égales lois ?
Mais les siècles ont vu les âmes magnanimes,
La beauté, le génie, ou les vertus sublimes,
Victimes de son choix.

Tel, quand des dieux de sang voulaient en sacrifices
Des troupeaux innocents les sanglantes prémices,
Dans leurs temples cruels,
De cent taureaux choisis on formait l'hécatombe,
Et l'agneau sans souillure, ou la blanche colombe
Engraissaient leurs autels.

Créateur, Tout-Puissant, principe de tout être !
Toi pour qui le possible existe avant de naître :
Roi de l'immensité,
Tu pouvais cependant, au gré de ton envie,
Puiser pour tes enfants le bonheur et la vie
Dans ton éternité ?

Sans t'épuiser jamais, sur toute la nature
Tu pouvais à longs flots répandre sans mesure
Un bonheur absolu.
L'espace, le pouvoir, le temps, rien ne te coûte.
Ah ! ma raison frémit ; tu le pouvais sans doute,
Tu ne l'as pas voulu.

Quel crime avons-nous fait pour mériter de naître ?
L'insensible néant t'a-t-il demandé l'être,
Ou l'a-t-il accepté ?
Sommes-nous, ô hasard, l'oeuvre de tes caprices ?
Ou plutôt, Dieu cruel, fallait-il nos supplices
Pour ta félicité ?

Montez donc vers le ciel, montez, encens qu'il aime,
Soupirs, gémissements, larmes, sanglots, blasphème,
Plaisirs, concerts divins !
Cris du sang, voix des morts, plaintes inextinguibles,
Montez, allez frapper les voûtes insensibles
Du palais des destins !

Terre, élève ta voix ; cieux, répondez ; abîmes,
Noirs séjours où la mort entasse ses victimes,
Ne formez qu'un soupir.
Qu'une plainte éternelle accuse la nature,
Et que la douleur donne à toute créature
Une voix pour gémir.

Du jour où la nature, au néant arrachée,
S'échappa de tes mains comme une oeuvre ébauchée,
Qu'as-tu vu cependant ?
Aux désordres du mal la matière asservie,
Toute chair gémissant, hélas! et toute vie
Jalouse du néant.

Des éléments rivaux les luttes intestines ;
Le Temps, qui flétrit tout, assis sur les ruines
Qu'entassèrent ses mains,
Attendant sur le seuil tes oeuvres éphémères ;
Et la mort étouffant, dès le sein de leurs mères,
Les germes des humains !

La vertu succombant sous l'audace impunie,
L'imposture en honneur, la vérité bannie ;
L'errante liberté
Aux dieux vivants du monde offerte en sacrifice ;
Et la force, partout, fondant de l'injustice
Le règne illimité.

La valeur sans les dieux décidant des batailles !
Un Caton libre encor déchirant ses entrailles
Sur la foi de Platon !
Un Brutus qui, mourant pour la vertu qu'il aime,
Doute au dernier moment de cette vertu même,
Et dit : Tu n'es qu'un nom !...

La fortune toujours du parti des grands crimes !
Les forfaits couronnés devenus légitimes !
La gloire au prix du sang !
Les enfants héritant l'iniquité des pères !
Et le siècle qui meurt racontant ses misères
Au siècle renaissant !

Eh quoi ! tant de tourments, de forfaits, de supplices,
N'ont-ils pas fait fumer d'assez de sacrifices
Tes lugubres autels ?
Ce soleil, vieux témoin des malheurs de la terre,
Ne fera-t-il pas naître un seul jour qui n'éclaire
L'angoisse des mortels ?

Héritiers des douleurs, victimes de la vie,
Non, non, n'espérez pas que sa rage assouvie
Endorme le Malheur !
Jusqu'à ce que la Mort, ouvrant son aile immense,
Engloutisse à jamais dans l'éternel silence
L'éternelle douleur ! »
 

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