Poésie Poesie / beaux textes

💔
💔BriserleSilence
Anonyme
Briser le Silence : Le Harcèlement, Ses Visages et l'Espoir...

Des mots qui blessent, des silences qui pèsent,
un regard qui juge, un geste qui frappe.
L'ombre s'installe, doucement, sans cesse,
volant la joie, piégeant chaque étape.

Petit ou grand, l'âge n'y fait rien,
quand l'autre s'acharne, jour après jour.
Sur le chemin de l'école ou au bureau, le chagrin
devient une chaîne, une lourde armure autour.

Moqueries cruelles, insultes amères,
exclusion brutale, mise à l'écart.
Sur l'écran qui brille, les haines prospères,
blessant l'âme, laissant une cicatrice au hasard.

Les poings se lèvent, la violence éclate,
le corps subit, la peur dévastatrice.
L'intimité volée, le viol, blessure béante,
brisant l'esprit, la vie, toute cicatrice.

Voler les rires, briser la confiance,
nier la valeur, humilier sans raison.
Le harcèlement tenaille, c'est une offense,
qui ronge le cœur et trouble l'horizon.

Mais au fond de chacun, une force sommeille,
le droit d'être soi, sans peur et sans honte.
Une voix s'élève, brisant le poids,
du silence complice qui trop longtemps affronte.

Alors, ensemble, disons NON à cette ombre !
HARCÈLEMENT ! Ce mot est un cri, une clameur qui grandit !
Pour que cesse la peur, que s'éloigne la nuit.
que chaque cœur retrouve sa fierté, son nid,
et que la bienveillance enfin partout s'irradie.

Car même dans l'obscurité la plus profonde,
une étincelle luit, fragile mais forte.
L'espoir d'un monde où chacun se fonde,
sur le respect, ouvrant une nouvelle porte.

Alors, tendons la main, soyons le soutien,
pour que l'ombre s'efface, laissant place au demain
Où la gentillesse sera notre seul chemin,
et la lumière, le plus beau de nos refrains.

Si cette ombre vous pèse, chercher qui peut vous aider,
le chemin du secours existe et votre voix sera enfin entendue,
et votre coeur, votre esprit, un peu soulagé...
 
Caméo
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Poesie / beaux textes



Pensée des morts​


Voilà les feuilles sans sève
Qui tombent sur le gazon,
Voilà le vent qui s’élève
Et gémit dans le vallon,
Voilà l’errante hirondelle .
Qui rase du bout de l’aile :
L’eau dormante des marais,
Voilà l’enfant des chaumières
Qui glane sur les bruyères
Le bois tombé des forêts.
L’onde n’a plus le murmure ,
Dont elle enchantait les bois ;
Sous des rameaux sans verdure.
Les oiseaux n’ont plus de voix ;
Le soir est près de l’aurore,
L’astre à peine vient d’éclore
Qu’il va terminer son tour,
Il jette par intervalle
Une heure de clarté pâle
Qu’on appelle encore un jour.
L’aube n’a plus de zéphire
Sous ses nuages dorés,
La pourpre du soir expire
Sur les flots décolorés,
La mer solitaire et vide
N’est plus qu’un désert aride
Où l’oeil cherche en vain l’esquif,
Et sur la grève plus sourde
La vague orageuse et lourde
N’a qu’un murmure plaintif.
La brebis sur les collines
Ne trouve plus le gazon,
Son agneau laisse aux épines
Les débris de sa toison,
La flûte aux accords champêtres
Ne réjouit plus les hêtres
Des airs de joie ou d’amour,
Toute herbe aux champs est glanée :
Ainsi finit une année,
Ainsi finissent nos jours !
C’est la saison où tout tombe
Aux coups redoublés des vents ;
Un vent qui vient de la tombe
Moissonne aussi les vivants :
Ils tombent alors par mille,
Comme la plume inutile
Que l’aigle abandonne aux airs,
Lorsque des plumes nouvelles
Viennent réchauffer ses ailes
A l’approche des hivers.
C’est alors que ma paupière
Vous vit pâlir et mourir,
Tendres fruits qu’à la lumière
Dieu n’a pas laissé mûrir !
Quoique jeune sur la terre,
Je suis déjà solitaire
Parmi ceux de ma saison,
Et quand je dis en moi-même :
Où sont ceux que ton coeur aime ?
Je regarde le gazon.
Leur tombe est sur la colline,
Mon pied la sait ; la voilà !
Mais leur essence divine,
Mais eux, Seigneur, sont-ils là ?
Jusqu’à l’indien rivage
Le ramier porte un message
Qu’il rapporte à nos climats ;
La voile passe et repasse,
Mais de son étroit espace
Leur âme ne revient pas.
Ah ! quand les vents de l’automne
Sifflent dans les rameaux morts,
Quand le brin d’herbe frissonne,
Quand le pin rend ses accords,
Quand la cloche des ténèbres
Balance ses glas funèbres,
La nuit, à travers les bois,
A chaque vent qui s’élève,
A chaque flot sur la grève,
Je dis : N’es-tu pas leur voix?
Du moins si leur voix si pure
Est trop vague pour nos sens,
Leur âme en secret murmure
De plus intimes accents ;
Au fond des coeurs qui sommeillent,
Leurs souvenirs qui s’éveillent
Se pressent de tous côtés,
Comme d’arides feuillages
Que rapportent les orages
Au tronc qui les a portés !
C’est une mère ravie
A ses enfants dispersés,
Qui leur tend de l’autre vie
Ces bras qui les ont bercés ;
Des baisers sont sur sa bouche,
Sur ce sein qui fut leur couche
Son coeur les rappelle à soi ;
Des pleurs voilent son sourire,
Et son regard semble dire :
Vous aime-t-on comme moi ?
C’est une jeune fiancée
Qui, le front ceint du bandeau,
N’emporta qu’une pensée
De sa jeunesse au tombeau ;
Triste, hélas ! dans le ciel même,
Pour revoir celui qu’elle aime
Elle revient sur ses pas,
Et lui dit : Ma tombe est verte !
Sur cette terre déserte
Qu’attends-tu ? Je n’y suis pas !
C’est un ami de l’enfance,
Qu’aux jours sombres du malheur
Nous prêta la Providence
Pour appuyer notre cœur ;
Il n’est plus ; notre âme est veuve,
Il nous suit dans notre épreuve
Et nous dit avec pitié :
Ami, si ton âme est pleine,
De ta joie ou de ta peine
Qui portera la moitié ?
C’est l’ombre pâle d’un père
Qui mourut en nous nommant ;
C’est une soeur, c’est un frère,
Qui nous devance un moment ;
Sous notre heureuse demeure,
Avec celui qui les pleure,
Hélas ! ils dormaient hier !
Et notre coeur doute encore,
Que le ver déjà dévore
Cette chair de notre chair !
L’enfant dont la mort cruelle
Vient de vider le berceau,
Qui tomba de la mamelle
Au lit glacé du tombeau ;
Tous ceux enfin dont la vie
Un jour ou l’autre ravie,
Emporte une part de nous,
Murmurent sous la poussière :
Vous qui voyez la lumière,
Vous souvenez-vous de nous ?
Ah ! vous pleurer est le bonheur suprême
Mânes chéris de quiconque a des pleurs !
Vous oublier c’est s’oublier soi-même :
N’êtes-vous pas un débris de nos coeurs ?
En avançant dans notre obscur voyage,
Du doux passé l’horizon est plus beau,
En deux moitiés notre âme se partage,
Et la meilleure appartient au tombeau !
Dieu du pardon ! leur Dieu ! Dieu de leurs pères !
Toi que leur bouche a si souvent nommé !
Entends pour eux les larmes de leurs frères !
Prions pour eux, nous qu’ils ont tant aimé !
Ils t’ont prié pendant leur courte vie,
Ils ont souri quand tu les as frappés !
Ils ont crié : Que ta main soit bénie !
Dieu, tout espoir ! les aurais-tu trompés ?
Et cependant pourquoi ce long silence ?
Nous auraient-ils oubliés sans retour ?
N’aiment-ils plus ? Ah ! ce doute t’offense !
Et toi, mon Dieu, n’es-tu pas tout amour ?
Mais, s’ils parlaient à l’ami qui les pleure,
S’ils nous disaient comment ils sont heureux,
De tes desseins nous devancerions l’heure,
Avant ton jour nous volerions vers eux.
Où vivent-ils ? Quel astre, à leur paupière
Répand un jour plus durable et plus doux ?
Vont-ils peupler ces îles de lumière ?
Ou planent-ils entre le ciel et nous ?
Sont-ils noyés dans l’éternelle flamme ?
Ont-ils perdu ces doux noms d’ici-bas,
Ces noms de soeur et d’amante et de femme ?
A ces appels ne répondront-ils pas ?
Non, non, mon Dieu, si la céleste gloire
Leur eût ravi tout souvenir humain,
Tu nous aurais enlevé leur mémoire ;
Nos pleurs sur eux couleraient-ils en vain ?
Ah ! dans ton sein que leur âme se noie !
Mais garde-nous nos places dans leur cœur ;
Eux qui jadis ont goûté notre joie,
Pouvons-nous être heureux sans leur bonheur ?
Etends sur eux la main de ta clémence,
Ils ont péché; mais le ciel est un don !
Ils ont souffert; c’est une autre innocence !
Ils ont aimé; c’est le sceau du pardon !
Ils furent ce que nous sommes,
Poussière, jouet du vent !
Fragiles comme des hommes,
Faibles comme le néant !
Si leurs pieds souvent glissèrent,
Si leurs lèvres transgressèrent
Quelque lettre de ta loi,
Ô Père! ô juge suprême !
Ah ! ne les vois pas eux-mêmes,
Ne regarde en eux que toi !
Si tu scrutes la poussière,
Elle s’enfuit à ta voix !
Si tu touches la lumière,
Elle ternira tes doigts !
Si ton oeil divin les sonde,
Les colonnes de ce monde
Et des cieux chancelleront :
Si tu dis à l’innocence :
Monte et plaide en ma présence !
Tes vertus se voileront.
Mais toi, Seigneur, tu possèdes
Ta propre immortalité !
Tout le bonheur que tu cèdes
Accroît ta félicité !
Tu dis au soleil d’éclore,
Et le jour ruisselle encore !
Tu dis au temps d’enfanter,
Et l’éternité docile,
Jetant les siècles par mille,
Les répand sans les compter !
Les mondes que tu répares
Devant toi vont rajeunir,
Et jamais tu ne sépares
Le passé de l’avenir ;
Tu vis ! et tu vis ! les âges,
Inégaux pour tes ouvrages,
Sont tous égaux sous ta main ;
Et jamais ta voix ne nomme,
Hélas ! ces trois mots de l’homme :
Hier, aujourd’hui, demain !
Ô Père de la nature,
Source, abîme de tout bien,
Rien à toi ne se mesure,
Ah ! ne te mesure à rien !
Mets, à divine clémence,
Mets ton poids dans la balance,
Si tu pèses le néant !
Triomphe, à vertu suprême !
En te contemplant toi-même,
Triomphe en nous pardonnant !

Alphonse de Lamartine, Harmonies poétiques et religieuses
 
Caméo
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Tirade de Ruy Blas, dans Ruy Blas de Victor Hugo (Acte III, Scène 2) : « Bon appétit »​


Ruy Blas, premier ministre du roi d’Espagne, surprend les conseillers du roi en train de se partager les richesses du royaume.

Poesie / beaux textes




Depuis quelques instants, Ruy Blas est entré par la porte du fond et assiste à la scène sans être vu des interlocuteurs. Il est vêtu de velours noir, avec un manteau de velours écarlate ; il a la plume blanche au chapeau et la toison d’or au cou. Il les écoute d’abord en silence, puis, tout à coup, il s’avance à pas lents et paraît au milieu d’eux au plus fort de la querelle.

Ruy Blas, survenant.
Bon appétit ! messieurs ! —
Tous se retournent. Silence de surprise et d’inquiétude. Ruy Blas se couvre, croise les bras, et poursuit en les regardant en face.
…………………………….Ô ministres intègres !
Conseillers vertueux ! Voilà votre façon
De servir, serviteurs qui pillez la maison !
Donc vous n’avez pas honte et vous choisissez l’heure,
L’heure sombre où l’Espagne agonisante pleure !
Donc vous n’avez ici pas d’autres intérêts
Que remplir votre poche et vous enfuir après !
Soyez flétris, devant votre pays qui tombe,
Fossoyeurs qui venez le voler dans sa tombe !
— Mais voyez, regardez, ayez quelque pudeur.
L’Espagne et sa vertu, l’Espagne et sa grandeur,
Tout s’en va. — Nous avons, depuis Philippe Quatre,
Perdu le Portugal, le Brésil, sans combattre ;
En Alsace Brisach, Steinfort en Luxembourg ;
et toute la Comté jusqu’au dernier faubourg ;
Le Roussillon, Ormuz, Goa, cinq mille lieues
De côte, et Fernambouc, et les Montagnes Bleues !
Mais voyez. — Du ponant jusques à l’orient,
L’Europe, qui vous hait, vous regarde en riant.
Comme si votre roi n’était plus qu’un fantôme,
La Hollande et l’Anglais partagent ce royaume ;
Rome vous trompe ; il faut ne risquer qu’à demi
Une armée en Piémont, quoique pays ami ;
La Savoie et son duc sont pleins de précipices ;
La France pour vous prendre, attend des jours propices ;
L’Autriche aussi vous guette. — Et l’infant bavarois
Se meurt, vous le savez. — Quant à vos vice-rois,
Médina, fou d’amour, emplit Naples d’esclandres,
Vaudémont vend Milan, Leganez perd les Flandres.
Quel remède à cela ? — L’état est indigent ;
L’état est épuisé de troupes et d’argent ;
Nous avons sur la mer, où Dieu met ses colères,
Perdu trois cents vaisseaux, sans compter les galères !
Et vous osez ! … — Messieurs, en vingt ans, songez-y,
Le peuple, — j’en ai fait le compte, et c’est ainsi ! —
Portant sa charge énorme et sous laquelle il ploie,
Pour vous, pour vos plaisirs, pour vos filles de joie,
Le peuple misérable, et qu’on pressure encor,
A sué quatre cent trente millions d’or !
Et ce n’est pas assez ! Et vous voulez, mes maîtres ! … —
Ah ! j’ai honte pour vous ! — Au dedans, routiers, reîtres,
Vont battant le pays et brûlant la moisson.
L’escopette est braquée au coin de tout buisson.
Comme si c’était peu de la guerre des princes,
Guerre entre les couvents, guerre entre les provinces,
Tous voulant dévorer leur voisin éperdu,
Morsures d’affamés sur un vaisseau perdu !
Notre église en ruine est pleine de couleuvres ;
L’herbe y croît. Quant aux grands, des aïeux, mais pas d’œuvres.
Tout se fait par intrigue et rien par loyauté.
L’Espagne est un égout où vient l’impureté
De toute nation. — Tout seigneur à ses gages
A cent coupe-jarrets qui parlent cent langages.
Génois, Sardes, Flamands, Babel est dans Madrid.
L’alguazil, dur au pauvre, au riche s’attendrit.
La nuit on assassine et chacun crie : à l’aide !
— Hier on m’a volé, moi, près du pont de Tolède ! —
La moitié de Madrid pille l’autre moitié.
Tous les juges vendus ; pas un soldat payé.
Anciens vainqueurs du monde, Espagnols que nous sommes
Quelle armée avons-nous ? À peine six mille hommes.
Qui vont pieds nus. Des gueux, des juifs, des montagnards,
S’habillant d’une loque et s’armant de poignards.
Aussi d’un régiment toute bande se double.
Sitôt que la nuit tombe, il est une heure trouble
Où le soldat douteux se transforme en larron.
Matalobos a plus de troupes qu’un baron.
Un voleur fait chez lui la guerre au roi d’Espagne.
Hélas ! Les paysans qui sont dans la campagne
Insultent en passant la voiture du roi ;
Et lui, votre seigneur, plein de deuil et d’effroi,
Seul, dans l’Escurial, avec les morts qu’il foule,
Courbe son front pensif sur qui l’empire croule !
— Voilà ! — L’Europe, hélas ! écrase du talon
Ce pays qui fut pourpre et n’est plus que haillon !
L’État s’est ruiné dans ce siècle funeste,
Et vous vous disputez à qui prendra le reste !
Ce grand peuple espagnol aux membres énervés,
Qui s’est couché dans l’ombre et sur qui vous vivez,
Expire dans cet antre où son sort se termine,
Triste comme un lion mangé par la vermine !
— Charles-Quint, dans ces temps d’opprobre et de terreur,
Que fais-tu dans ta tombe, ô puissant empereur ?
Oh ! Lève-toi ! Viens voir ! — Les bons font place aux pires.
Ce royaume effrayant, fait d’un amas d’empires,
Penche… Il nous faut ton bras ! Au secours, Charles-Quint !
Car l’Espagne se meurt, car l’Espagne s’éteint !
Ton globe, qui brillait dans ta droite profonde,
Soleil éblouissant qui faisait croire au monde
Que le jour désormais se levait à Madrid,
Maintenant, astre mort, dans l’ombre s’amoindrit,
Lune aux trois quarts rongée et qui décroît encore,
Et que d’un autre peuple effacera l’aurore !
Hélas ! Ton héritage est en proie aux vendeurs.
Tes rayons, ils en font des piastres ! Tes splendeurs,
On les souille ! — ô géant ! Se peut-il que tu dormes ? —
On vend ton sceptre au poids ! Un tas de nains difformes
Se taillent des pourpoints dans ton manteau de roi ;
Et l’aigle impérial, qui, jadis, sous ta loi,
Couvrait le monde entier de tonnerre et de flamme,
Cuit, pauvre oiseau plumé, dans leur marmite infâme !
Les conseillers se taisent consternés. Seuls, le marquis de Priego et le comte de Camporeal redressent la tête et regardent Ruy Blas avec colère. Puis Camporeal, après avoir parlé à Priego, va à la table, écrit quelques mots sur un papier, les signe et les fait signer au marquis.
 
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Tirade de Ruy Blas, dans Ruy Blas de Victor Hugo (Acte III, Scène 2) : « Bon appétit »​


Ruy Blas, premier ministre du roi d’Espagne, surprend les conseillers du roi en train de se partager les richesses du royaume.

Voir la pièce jointe 39326



Depuis quelques instants, Ruy Blas est entré par la porte du fond et assiste à la scène sans être vu des interlocuteurs. Il est vêtu de velours noir, avec un manteau de velours écarlate ; il a la plume blanche au chapeau et la toison d’or au cou. Il les écoute d’abord en silence, puis, tout à coup, il s’avance à pas lents et paraît au milieu d’eux au plus fort de la querelle.

Ruy Blas, survenant.
Bon appétit ! messieurs ! —
Tous se retournent. Silence de surprise et d’inquiétude. Ruy Blas se couvre, croise les bras, et poursuit en les regardant en face.
…………………………….Ô ministres intègres !
Conseillers vertueux ! Voilà votre façon
De servir, serviteurs qui pillez la maison !
Donc vous n’avez pas honte et vous choisissez l’heure,
L’heure sombre où l’Espagne agonisante pleure !
Donc vous n’avez ici pas d’autres intérêts
Que remplir votre poche et vous enfuir après !
Soyez flétris, devant votre pays qui tombe,
Fossoyeurs qui venez le voler dans sa tombe !
— Mais voyez, regardez, ayez quelque pudeur.
L’Espagne et sa vertu, l’Espagne et sa grandeur,
Tout s’en va. — Nous avons, depuis Philippe Quatre,
Perdu le Portugal, le Brésil, sans combattre ;
En Alsace Brisach, Steinfort en Luxembourg ;
et toute la Comté jusqu’au dernier faubourg ;
Le Roussillon, Ormuz, Goa, cinq mille lieues
De côte, et Fernambouc, et les Montagnes Bleues !
Mais voyez. — Du ponant jusques à l’orient,
L’Europe, qui vous hait, vous regarde en riant.
Comme si votre roi n’était plus qu’un fantôme,
La Hollande et l’Anglais partagent ce royaume ;
Rome vous trompe ; il faut ne risquer qu’à demi
Une armée en Piémont, quoique pays ami ;
La Savoie et son duc sont pleins de précipices ;
La France pour vous prendre, attend des jours propices ;
L’Autriche aussi vous guette. — Et l’infant bavarois
Se meurt, vous le savez. — Quant à vos vice-rois,
Médina, fou d’amour, emplit Naples d’esclandres,
Vaudémont vend Milan, Leganez perd les Flandres.
Quel remède à cela ? — L’état est indigent ;
L’état est épuisé de troupes et d’argent ;
Nous avons sur la mer, où Dieu met ses colères,
Perdu trois cents vaisseaux, sans compter les galères !
Et vous osez ! … — Messieurs, en vingt ans, songez-y,
Le peuple, — j’en ai fait le compte, et c’est ainsi ! —
Portant sa charge énorme et sous laquelle il ploie,
Pour vous, pour vos plaisirs, pour vos filles de joie,
Le peuple misérable, et qu’on pressure encor,
A sué quatre cent trente millions d’or !
Et ce n’est pas assez ! Et vous voulez, mes maîtres ! … —
Ah ! j’ai honte pour vous ! — Au dedans, routiers, reîtres,
Vont battant le pays et brûlant la moisson.
L’escopette est braquée au coin de tout buisson.
Comme si c’était peu de la guerre des princes,
Guerre entre les couvents, guerre entre les provinces,
Tous voulant dévorer leur voisin éperdu,
Morsures d’affamés sur un vaisseau perdu !
Notre église en ruine est pleine de couleuvres ;
L’herbe y croît. Quant aux grands, des aïeux, mais pas d’œuvres.
Tout se fait par intrigue et rien par loyauté.
L’Espagne est un égout où vient l’impureté
De toute nation. — Tout seigneur à ses gages
A cent coupe-jarrets qui parlent cent langages.
Génois, Sardes, Flamands, Babel est dans Madrid.
L’alguazil, dur au pauvre, au riche s’attendrit.
La nuit on assassine et chacun crie : à l’aide !
— Hier on m’a volé, moi, près du pont de Tolède ! —
La moitié de Madrid pille l’autre moitié.
Tous les juges vendus ; pas un soldat payé.
Anciens vainqueurs du monde, Espagnols que nous sommes
Quelle armée avons-nous ? À peine six mille hommes.
Qui vont pieds nus. Des gueux, des juifs, des montagnards,
S’habillant d’une loque et s’armant de poignards.
Aussi d’un régiment toute bande se double.
Sitôt que la nuit tombe, il est une heure trouble
Où le soldat douteux se transforme en larron.
Matalobos a plus de troupes qu’un baron.
Un voleur fait chez lui la guerre au roi d’Espagne.
Hélas ! Les paysans qui sont dans la campagne
Insultent en passant la voiture du roi ;
Et lui, votre seigneur, plein de deuil et d’effroi,
Seul, dans l’Escurial, avec les morts qu’il foule,
Courbe son front pensif sur qui l’empire croule !
— Voilà ! — L’Europe, hélas ! écrase du talon
Ce pays qui fut pourpre et n’est plus que haillon !
L’État s’est ruiné dans ce siècle funeste,
Et vous vous disputez à qui prendra le reste !
Ce grand peuple espagnol aux membres énervés,
Qui s’est couché dans l’ombre et sur qui vous vivez,
Expire dans cet antre où son sort se termine,
Triste comme un lion mangé par la vermine !
— Charles-Quint, dans ces temps d’opprobre et de terreur,
Que fais-tu dans ta tombe, ô puissant empereur ?
Oh ! Lève-toi ! Viens voir ! — Les bons font place aux pires.
Ce royaume effrayant, fait d’un amas d’empires,
Penche… Il nous faut ton bras ! Au secours, Charles-Quint !
Car l’Espagne se meurt, car l’Espagne s’éteint !
Ton globe, qui brillait dans ta droite profonde,
Soleil éblouissant qui faisait croire au monde
Que le jour désormais se levait à Madrid,
Maintenant, astre mort, dans l’ombre s’amoindrit,
Lune aux trois quarts rongée et qui décroît encore,
Et que d’un autre peuple effacera l’aurore !
Hélas ! Ton héritage est en proie aux vendeurs.
Tes rayons, ils en font des piastres ! Tes splendeurs,
On les souille ! — ô géant ! Se peut-il que tu dormes ? —
On vend ton sceptre au poids ! Un tas de nains difformes
Se taillent des pourpoints dans ton manteau de roi ;
Et l’aigle impérial, qui, jadis, sous ta loi,
Couvrait le monde entier de tonnerre et de flamme,
Cuit, pauvre oiseau plumé, dans leur marmite infâme !
Les conseillers se taisent consternés. Seuls, le marquis de Priego et le comte de Camporeal redressent la tête et regardent Ruy Blas avec colère. Puis Camporeal, après avoir parlé à Priego, va à la table, écrit quelques mots sur un papier, les signe et les fait signer au marquis.
Toute l'éloquence de Victor Hugo ! Superbe.
L'histoire est elle un éternel recommencement ? :)
 

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