Champignons
L'automne est la saison que je préfère. Lorsque la lumière diaphane des journées de la fin septembre éclaire toute chose avec pudeur. Ce sont ces trop rares après-midi de promenade qui me laissent, chaque année, le plus extraordinaire sentiment d'une saison finissante. Que ce soit des balades équestres, des promenades pédestres ou des balades à bicyclette, c'est l'impression élégiaque d'un changement imminent. Je garde un souvenir précis de ces automnes. Depuis le début de l'adolescence.
Ce mardi après-midi là, j'étais sur mon cheval. Je parcourais un des sentiers qui passent à proximité des "Trois Chênes". C'est le point culminant sur la plus haute colline. Il y a une table d'orientation. Un petit abri pour les promeneurs. Il y a souvent des barbecues ici. Lorsque je descends le sentier des étangs, je passe dans le sous-bois des "Carmes". Un endroit magique. L'endroit respire le mystère. Avec un peu d'imagination, le promeneur à l'impression d'être un personnage des légendes arthuriennes.
J'avance sur le chemin au milieu des arbres. Les couleurs oscillent entre l'ocre, les terres de Sienne, l'or et le vermeil. Le soleil se joue de ses rayons avec cette clarté d'automne si particulière. J'ai l'impression d'être au cœur même d'un prisme de lumière. Parfois aveuglée par la luminosité jaillissante entre les arbres. Même Chanel, mon fidèle cheval, semble se mouvoir dans cet univers avec un plaisir évident. Nous sommes à l'automne 2019. J'ai dix sept ans. Là, à ma droite, depuis les fourrés, une voix. Un homme s'adresse à moi. Vêtu "ville".
Sans doute quinquagénaire, son accoutrement citadin, ici, en pleine forêt, ne laisse pas de surprendre. Il est coiffé d'un élégant chapeau. << Bonjour mademoiselle. Vous connaissez des coins à champignons dans les environs ? >> me demande t-il. Le quidam est poli. Presque obséquieux. Cela m'amuse toujours beaucoup. Il s'adresse à moi avec un léger accent méridional. Chanel s'arrête. Je salue le monsieur pour lui répondre : << Hélas non. Je ne vais pas à la cueillette ! >>.
L'élégant monsieur en costume de velours se met à discuter. Nous bavardons un peu. Ce n'est qu'au bout d'une dizaine de minutes que je découvre le petit "détail" surréaliste qui me fait toujours un peu rire. C'est un cueilleur de champignons. Lorsqu'il comprends que je me suis rendue compte de ce "détail", il me fait : << C'est la saison ! >>. Nous rions tous les deux. Assise sur mon cheval, à quelques mètres de l'individu, je me sens en parfaite sécurité. Une simple impulsion des talons et je peux me sauver.
L'élégant et facétieux monsieur me présente le résultat de sa probable cueillette. Il me présente ce magnifique spécimen en vantant ses mérites gastronomiques. Je n'arrête pas de rire aux éclats. C'est la première fois que je vois un tel champignon. Il est beau. Couvert d'un opercule léger. Le monsieur le fait coulisser pour m'en expliquer la fonction. Je regarde avec intérêt. Je découvre les attraits de la mycologie, cette science qui répertorie les champignons. C'est rapidement passionnant.
Surtout que mon "professeur" en mycologie semble un véritable érudit. Un spécialiste de la famille des eumycètes. J'écoute avec attention tout en scrutant avec soin les démonstrations. Le gentil monsieur m'affirme que ce champignon peut se déguster "nature". Ce spécimen peut générer son propre assaisonnement lorsqu'il est préparé selon la tradition. Le mycologue affirme même que c'est une spécialité gastronomique fort prisée dans les milieux hédonistes. Il m'explique de quoi il est question.
Après de longues hésitations, je fini par refuser. Beaucoup plus par timidité que par envie. Parce que depuis un bon quart d'heure, j'ai l'envie folle d'y goûter. J'aime bien les champignons, en omelette par exemple. Le brave monsieur précise même qu'il a les œufs si je préfère le champignon en omelette. J'éclate de rire lorsqu'il les extrait de son panier. Deux œufs magnifiques. Je sens monter un appétit d'ogresse. Pour ne pas succomber à cette terrible tentation culinaire, je préfère prendre congé.
Le monsieur, pas du tout vexé, toujours souriant et poli, m'informe qu'il vient souvent à la cueillette dans le secteur. Si je désire goûter un de ces prochains après-midi, il me suffit de passer là entre 16 h et 18 h. Je promets d'envisager cette possibilité. Je salue poliment le brave homme qui agite son champignon tout en me regardant partir. Je me retourne plusieurs fois. Il reste ainsi à me faire coucou de sa main libre. Je suis dans un état de fringale élevée. Je me frotte sur la selle.
Je n'arrête plus d'y penser. Même en cours. Je suis attirée par les hommes d'âge mûr. Et lorsqu'ils sont cueilleurs de champignons, c'est une attractivité supplémentaire. Hélas, le week-end et le mardi suivant, il ne cesse pas de pleuvoir. Je n'ai plus jamais revu mon élégant mycologue...
Bisou
L'automne est la saison que je préfère. Lorsque la lumière diaphane des journées de la fin septembre éclaire toute chose avec pudeur. Ce sont ces trop rares après-midi de promenade qui me laissent, chaque année, le plus extraordinaire sentiment d'une saison finissante. Que ce soit des balades équestres, des promenades pédestres ou des balades à bicyclette, c'est l'impression élégiaque d'un changement imminent. Je garde un souvenir précis de ces automnes. Depuis le début de l'adolescence.
Ce mardi après-midi là, j'étais sur mon cheval. Je parcourais un des sentiers qui passent à proximité des "Trois Chênes". C'est le point culminant sur la plus haute colline. Il y a une table d'orientation. Un petit abri pour les promeneurs. Il y a souvent des barbecues ici. Lorsque je descends le sentier des étangs, je passe dans le sous-bois des "Carmes". Un endroit magique. L'endroit respire le mystère. Avec un peu d'imagination, le promeneur à l'impression d'être un personnage des légendes arthuriennes.
J'avance sur le chemin au milieu des arbres. Les couleurs oscillent entre l'ocre, les terres de Sienne, l'or et le vermeil. Le soleil se joue de ses rayons avec cette clarté d'automne si particulière. J'ai l'impression d'être au cœur même d'un prisme de lumière. Parfois aveuglée par la luminosité jaillissante entre les arbres. Même Chanel, mon fidèle cheval, semble se mouvoir dans cet univers avec un plaisir évident. Nous sommes à l'automne 2019. J'ai dix sept ans. Là, à ma droite, depuis les fourrés, une voix. Un homme s'adresse à moi. Vêtu "ville".
Sans doute quinquagénaire, son accoutrement citadin, ici, en pleine forêt, ne laisse pas de surprendre. Il est coiffé d'un élégant chapeau. << Bonjour mademoiselle. Vous connaissez des coins à champignons dans les environs ? >> me demande t-il. Le quidam est poli. Presque obséquieux. Cela m'amuse toujours beaucoup. Il s'adresse à moi avec un léger accent méridional. Chanel s'arrête. Je salue le monsieur pour lui répondre : << Hélas non. Je ne vais pas à la cueillette ! >>.
L'élégant monsieur en costume de velours se met à discuter. Nous bavardons un peu. Ce n'est qu'au bout d'une dizaine de minutes que je découvre le petit "détail" surréaliste qui me fait toujours un peu rire. C'est un cueilleur de champignons. Lorsqu'il comprends que je me suis rendue compte de ce "détail", il me fait : << C'est la saison ! >>. Nous rions tous les deux. Assise sur mon cheval, à quelques mètres de l'individu, je me sens en parfaite sécurité. Une simple impulsion des talons et je peux me sauver.
L'élégant et facétieux monsieur me présente le résultat de sa probable cueillette. Il me présente ce magnifique spécimen en vantant ses mérites gastronomiques. Je n'arrête pas de rire aux éclats. C'est la première fois que je vois un tel champignon. Il est beau. Couvert d'un opercule léger. Le monsieur le fait coulisser pour m'en expliquer la fonction. Je regarde avec intérêt. Je découvre les attraits de la mycologie, cette science qui répertorie les champignons. C'est rapidement passionnant.
Surtout que mon "professeur" en mycologie semble un véritable érudit. Un spécialiste de la famille des eumycètes. J'écoute avec attention tout en scrutant avec soin les démonstrations. Le gentil monsieur m'affirme que ce champignon peut se déguster "nature". Ce spécimen peut générer son propre assaisonnement lorsqu'il est préparé selon la tradition. Le mycologue affirme même que c'est une spécialité gastronomique fort prisée dans les milieux hédonistes. Il m'explique de quoi il est question.
Après de longues hésitations, je fini par refuser. Beaucoup plus par timidité que par envie. Parce que depuis un bon quart d'heure, j'ai l'envie folle d'y goûter. J'aime bien les champignons, en omelette par exemple. Le brave monsieur précise même qu'il a les œufs si je préfère le champignon en omelette. J'éclate de rire lorsqu'il les extrait de son panier. Deux œufs magnifiques. Je sens monter un appétit d'ogresse. Pour ne pas succomber à cette terrible tentation culinaire, je préfère prendre congé.
Le monsieur, pas du tout vexé, toujours souriant et poli, m'informe qu'il vient souvent à la cueillette dans le secteur. Si je désire goûter un de ces prochains après-midi, il me suffit de passer là entre 16 h et 18 h. Je promets d'envisager cette possibilité. Je salue poliment le brave homme qui agite son champignon tout en me regardant partir. Je me retourne plusieurs fois. Il reste ainsi à me faire coucou de sa main libre. Je suis dans un état de fringale élevée. Je me frotte sur la selle.
Je n'arrête plus d'y penser. Même en cours. Je suis attirée par les hommes d'âge mûr. Et lorsqu'ils sont cueilleurs de champignons, c'est une attractivité supplémentaire. Hélas, le week-end et le mardi suivant, il ne cesse pas de pleuvoir. Je n'ai plus jamais revu mon élégant mycologue...
Bisou