Histoire

Albert
Le concourophile
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Personnalisation pseudo
Et dire qu'étant gosse, je détestais prendre mon bain. Rien que l'idée d'aller sous la douche ou tout simplement un gant de toilette savonneux sur mon visage me donnait envie d'aller voir ce qui se passe dans un pays voisin.
Mais aujourd'hui, à l'heure où je vous parle, prendre un bain est pour moi une source inépuisable de satisfaction, de relaxation et de méditation.
J'ai acquis et installé récemment une toute nouvelle baignoire, avec les bulles, les jets, et tout le saint-bazar, mais bon, là n'est pas l'essentiel, de plus, ce genre de bidule reste encore trop bruyant à mon goût, beaucoup de fonction à user avec modérations.
Non, ce qui m'a le plus plu dans ce nouvel achat c'est avant tout, ses mensurations : à savoir deux cents centimètres de longueur sur cents vingt de largeur, autant vous dire tout de suite que l'on ne s'y sent point à l'étroit. On y est confortablement installé pour peu qu'on se mette dans le bon sens, les moulures pour la nuque ainsi que la colonne et les accoudoirs ne m'offrent qu'une seule et unique position. Ensuite, ajouter à cela un éclairage tamisé et un doux album d'ambiant en sourdine, c'est un bonheur complet.
Pour le moment je suis toujours au bureau, je ne serais de retour chez moi que dans deux bonnes heures, sauf, bien sur, si embouteillage il y a ! J'ai presque bouclé mon planning de la journée, chose qui m'arrive rarement à cette époque de l'année. On arrive en été, et le soleil brille de mille feux. C'est dur dur de rester enfermé, pourtant il y a de grandes fenêtres, on a une très belle vue ! C'est la première chose que le patron m'a dit quand il m'a fait visiter les bureaux de l'agence :
« Et regardez-moi cette belle vue, pour stimuler votre créativité ! Ce n'est pas parfait ça ! ».
Quoi ! C'est bien une réflexion des gens de la ville ça ! D'accord, on voit très loin, très, très loin, c'est vrai, mais c'est la ville ! Le périphérique, les usines, les immeubles et tout le toutime, c'est très laid. Et en plus de cela on ne voit quand même rien, les stores sont baissés pour empêcher la chaleur d'entrer, les fenêtres fermées pour empêcher les bruits de pénétrer. Et l'air conditionné tourne à mac.
Y a rien à faire je serais bien plus productif en travaillant chez moi, je n'ai peut-être pas une vue sur cinquante kilomètres de béton mais par contre, de ma fenêtre je peux voir les arbres, les champs, de la verdure quoi ! C'est tout autre chose ! Et puis de toute manière je ne vois pas en quoi j'aurais besoin d'aiguiser ma créativité, quand je vois les contrats que l'on me file, me refourgue.
C'est moi qui reçois les travaux les plus pourris, ici ! Je suis en train de finaliser le bon à tirer d'un toute boîte « Fruits et légumes », y a pas moins valorisant comme tâche. Quand je vois la Sonia, cette greluche bête comme une prune, elle se voit confier les plus beaux contrats de l'agence, les plus gros clients. Tout ça parce qu'elle parle comme dans une sitcom sur les chaînes de télévision française et vient travailler habillée comme une p*te.
Ce genre de fille qui prend des notes en regardant l'émission du samedi soir présentée par Thierry Ardisson.
Une nana qui se croit perpétuellement dans une télé-réalité américaine, en live over the day, usant des même répliques, ne prenant aucunes positions qui n'en valent pas la peine, se mettre en valeur, toujours se tenir esthétiquement à son avantage, toujours sous son meilleur profil.
Mais ce qui me fait le plus marrer c'est le fait qu'elle ne consomme que des produits hautement médiatisés, comme si ses pots de yaourts maigres conditionnés en pot de terre cuite pseudo artisanal de cinq centilitres, vendus par pack de huit, allait lui faire fondre la cellulite qu'elle a sur les cuisses.
C'est le gros syndrome de la dégénérescence du vingt et unième siècle, les gens qui paraissent intéressants, priment sur ceux qui le sont vraiment, c'est à vous couper les bras.
Elle est là, devant moi, la Sonia se trémousse en agitant les bras, faisant de grands gestes pour mieux argumenter ses grandes idées devant Monsieur Dousberg, PDG de Ultra-Electro-House ; Une importante chaîne de magasins implantés un peu partout en Europe.
Quand il règne une agitation frénétique dans le bureau, comme maintenant, moi, pour échapper à cette éruption de conneries, je vais sur la page web de la RTBF, et j'écoute CLASSIC 21, ainsi l'atroce impression de rater quelque chose dans ma vie se dissipe peu à peu.
C'est ma méthode à moi pour ne pas me lever et aller l'étrangler.
De plus son spot publicitaire et sa pub-press ne sont pas des plus originales, elle a simplement repris des vieilles images illustrant une ménagère des années soixante dans sa cuisine de la même époque, avec comme slogan « fini les années soixante ! Venez chez Ultra-Electro-House ! »
C'est pathétique ! Tellement conventionnel ! Et quel boulot de créativité, c'est de l'inédit, du jamais vu.
Et le Dousberg, complètement abruti par le décolleté presque bronzage intégral qu'il a juste sous le nez. En fait, en voyant cette scène, je ne sais plus trop bien si la Sonia essaye de faire signer ou éjaculer Monsieur Dousberg, ça prète à confusion. Moi, j'ai fini pour aujourd'hui, j'ai solutionné mon problème de courgette en promo à deux euros vingt cinq le kilo, j'éteins tout, je remballe tout, et je me casse.
Comme d'habitude je refuse la coupe de mousseux de signature de contrat, et je pousse la porte du bureau, prétextant qu'on m'attend de bonne heure à la maison, réunion familiale, je serais bien resté avec vous, mais les obligations sont les obligations, et bla bla bla.
Ainsi, je pris la route pour me rendre à mes obligations, qui ne sont autre que deux cent litres d'eau frémissante et thermoréglée par rapport à mon corps, une merveille, la température de l'eau aussi.
Je suis certain que si la Sonia aurait à réaliser la campagne pour une baignoire comme la mienne, elle insisterait pour être la fille à poil qui se palabrera dedans. Je vois déjà ça d'ici, déambulant comme une starlette dans la salle de bain muni d'une simple serviette éponge, pour ensuite la faire tomber au pied de la baignoire, et avec ses airs de Lolita de quarante ans vanter les mérites du produit, en soufflant sur des petits paquets de mousse.
Bon, assez rêvasser, concentrons nous sur la route, j'ai pas envie de faire partie des statistiques, ni que l'on parle de mon véhicule à l'info trafic.
Je suis sur le ring, qui porte d'ailleurs très bien son nom, je préfère largement le terme « ring » ou terme « périphérique ». A cette heure de la journée on pourrait même dire « arène de combat », ce ne serait pas exagéré.
On peut y croiser toutes sortes d'usagers de la route, ceux qui ont le temps, ils ne sont pas pressés et ils le montrent. Ceux qui sont pressés, ils le montrent mais, moins longtemps. Ceux qui sont pressés parce qu'ils travaillent, ils le montrent et ils le crient par la fenêtre. Et ceux qui s'amusent, ils ont le temps mais ils roulent comme s'ils étaient pressés.
Selon les jours je peux me retrouver dans une des quatre catégories d'usager, aujourd'hui chose rare, je ne sais pas dans quelle colonne me classer, peut-être créer une cinquième:
-L'usager de la route qui est pressé d'aller dans sa baignoire, mais roule cool.
En y réfléchissant bien, il est vrai c'est un peu dérisoire ce qui m'entend, une cuvette d'émail.
Je pouvais très bien être presser de rentrer parce que j'aurais une femme et qu'elle m'attendrait, pour le quatrième anniversaire du gamin qu'on aurait eu, ça se serait un truc qui vaut vraiment la peine d'être pressé de rentrer.
Je descends intérieurement, à longueur de journée la Sonia, mais en y réfléchissant bien, si ça se trouve, elle doit avoir très bon dans son petit monde fait d'arc-en-ciel et de paillette.
Elle a une vie de famille elle, un mari, deux fillettes, un chien et le jardin clôturé qui va avec. On est vendredi soir, elle va faire un crochet par chez sa mère rechercher ses deux gamines tellement adorables et si bien élevées, pour ensuite aller garer son monospace dans l'allée de sa villa clé sur porte.
Sa voisine lui apportera le colis Yves Rocher qu'elle ne sait pas réceptionner parce qu'elle travaille, elle, alors le facteur dépose chez la voisine, c'est un peu normal, elle est au chômage, elle. Le mari, en bon père de famille aura préparé le barbecue pour que Sonia puisse se détendre un peu avant que les invités n'arrivent, un couple fort similaire, ils vont pouvoir se rassurer mutuellement en se disant qu'ils font tout mieux les uns que les autres.
Oui, voilà, l'adorable époux aura tout préparé, la laitue printanière, les brochettes faites soi-même parce que c'est mieux que celle du magasin, on peut embrocher ce qu'on veut dessus. Il aura sorti les sauces du frigo, vingt-deux au total, et aura peut-être même fait couler un bain à sa Sonia chérie.
Ou alors elle n'en à rien à foutre de rentrer dans sa pourrie baraque qui ressemble à toutes celles de la rue, allez retrouver son mari qui ne fait aucun effort pour ressembler à Brad Pitt, bouffer des brochettes carbonisées, avec un couple de ringard que ne parle que d'eux.
Elle se réjouit peut-être de prendre un bain finalement, elle se fout du reste si ça se trouve, elle ne veut même pas y penser rentrer chez elle, et préfère aguicher les collègues du bureau avec deux coupes de champagne dans le nez.
Enfin, cette dernière hypothèse me semble moins plausible que la première, c'est une fille heureuse, cela se voit ou alors elle cache très bien son jeu, ce qui m'étonnerait, je l'aurai déjà remarqué, je lis dans cette fille comme dans un livre ouvert, elle est trop prévisible. C'est peut-être moi finalement, qui suis jaloux, qui suit le problème.
Moi qui n'ai jamais vécu comme tout le monde.
Moi qui suis toujours resté en retrait de la société.
Moi qui me force tous les jours afin de paraître sociable.
Moi qui a toujours été moins qu'un autre.
Moi qui aie tiré sur ce cordon électrique de friteuse à l'âge de cinq ans.
Moi qui me suis pris deux litres d'huile bouillante dans la gueule.
Moi qui me suis retrouvé dans une baignoire d'eau froide, avec un visage qui n'avait d'un visage, que le nom, et des mains qui ne touchent plus, qui ne savent plus prendre.
Les gens me font peur, c'est ça le problème, le problème, et non pas « mon » problème, parce que ce champ de mine, cette face de rat. Ca pose problèmes à tout le monde. C'est laid à voir, et ça fait faire des cauchemars aux gosses.
J'ai toujours un masque de Mickey sur moi.


FIN​
 
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