Du vrai!

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Tous les jours, il promenait ses moignons à grandes enjambées de bras gantés, car il était cul-de-jatte. Nous avions une grande peur de lui et si on passait devant sa tinette sans y mettre quelques sous, il nous maudissait. Ses mots étaient horribles !«Ta mère est une p***ain, ton père est un voleur de grands chemins. Tu vas mourir cette nuit, j'irai te tuer dans ton lit, fils de chien! Regarde pas mes jambes, j'en ai plus! Je te lance un sort de malchance. Tu va te péter la tête sur le poteau.» Nous faisions un détour pour ne pas passer devant lui et au loin, il criait quand même comme un forcené.
Un jour, mes potes et moi étions dans l'autobus nous ramenant à la maison. Le conducteur appliqua les freins d'un coup. Il ouvrit la porte et notre cul-de-jatte sauta sur la première marche, puis monta jusqu'à nous. «Petits morveux, je vous suis, c'est ce soir que je vous coupe la gorge avec mon couteau!» Il sortit son couteau de chasse de son étui, le tourna en notre direction en faisant tourner la lame au soleil de fin d'après-midi.
Personne de la bande ne bougeait, ses yeux exorbités se promenaient sur chacun de nous, il avait la bave aux lèvres. La peur nous prenait aux tripes, sa fureur ne voulait pas s'éteindre, sa respiration sifflante nous horrifiait.
Que va-t-il se passer? Nos demeures étaient presque à la fin du trajet.
Il remit son couteau au fourreau pour se rapprocher de nous. Hum, les 4 mousquetaires avaient la mine basse. Vrai, nous étions 5. Il rageait d'une voix très basse et sa phrase finissait chaque fois par «Je vais vous tuer, cette nuit! Je vais savoir où vous demeurez. Vos parents vont vous voir dans votre sang, demain matin, je vous le jure! Vous riez de moi depuis que vous allez à l'école, moi, j'ai pas pu.»
Le plus brave lança: «Mais, il est jaloux de nous?» tout bas. L'infirme avait l'oreille fine et l'entendit: «Toi, tu mourras le premier pour avoir dit ça!»
Ce fut la course en bus la plus suante que nous avons connue. Nous sommes descendus presque les-uns par-dessus les autres dès que notre quartier se profila.
Non, notre bonhomme n'était pas calmé, il continuait à jurer que nous ne serions pas là, demain matin. «Faites vos prières les petits gars et embrassez vos parents avant de partir pour de bon!» Il traînait sa petite marchette à roulette derrière nous dans l'allée de l'autobus.
À la course, chacun est entré chez lui, sans regarder derrière. En franchissant la porte, j'ai vitement le loquet. Les quatre autres copains ont fait de même.
Ma mère aperçut ma mine déconfite et me demanda pourquoi.
Je lui racontai notre mésaventure. Elle connaissait ce type. Enfant, il jouait sur une voie ferrée et un train rapide venait vers lui. En tentant de dégager la voie, il est tombé et le train lui a coupé les jambes et un bon bout des cuisses. Le train a été stoppé, un chemineau lui a placé des garrots. On l'a conduit à l'hôpital en ambulance. Il allait commencer l'école!
Ses parents avaient 10 autres enfants et ne pouvaient s'en occuper. Il passa son enfance à l'hôpital, dans un refuge pour handicapés, tous plus vieux que lui. Il a fait lui-même sa petite brouette. Une sœur du maintenant jeune homme l'a ramassé,à la condition qu'il gagne sa vie à quêter. Les gens auraient pitié.

Au lieu de me rassurer, cette histoire me fit encore plus craindre ses menaces. Et si...
Avant d'aller au lit, j'examinai chaque fenêtre, chaque porte en fermant le tout avec une ferveur morbide.
S'il venait? Peut-il défoncer une fenêtre, forcer une porte?
Le fait qu'il avait menacé une victime avant moi... Serai-je le second? Le troisième? Le quatrième? Le dernier?
Je le voyais arriver plein du sang de mes amis.
Une odeur de souffre planait. Impossible de dormir.
La veilleuse devait rester allumée. Mais, je ne lui ai rien fait...à part rire de lui.
Quand minuit sonna, le moindre bruit m'ameutait!
Le voilà, il vient, non, le chat saute sur mon lit. Il me semble plus noir que d'habitude. Il dégage une odeur de sang, il a mangé une souris, histoire de me rassurer.
Il est deux heures, je tremble de peur. Comment ne pas revoir ce couteau bien aiguisé! Dans ma tête, un grand ménage se passait. Mourir au bout de son sang, ça marche comment? Si c'est comme la fois que je me suis coupé un doigt...sur le coup ça chauffe et le sang tombe au sol.
Pauvre maman, obligée de laver mes draps rougis par mon sang.
Et ça prendra combien de temps?
Épuisé, le sommeil me gagna, hors des couvertures, l'oreiller sur la tête.
Tout se transforma en un rêve affolant. L'infirme me tranchait la gorge, je tombais et tombais, rien pour m'échapper du gouffre sous mes pieds. Soudain, j'étais devant un vieux monsieur à barbe blanche. Il me sourit et dit:«N'aie pas peur, je suis là pour toi!»
Quoi? C'est déjà fait? Je suis mort?
Le soleil inonda ma chambre, le réveil fut une joie.
Que de résolutions sortirent de ma tête! Je ne me moquerai plus de ce pauvre homme et je vais mettre des pièces à lui donner dans mes poches.
Je suis vivant, quelle merveille! Ma mère ne s'expliquait pas ma joie. «D'habitude, t'es maussade au réveil? T'as l'air d'avoir passé la nuit sur la corde à linge, va peigner tes cheveux!»
Mes copains, mes potes! Vite, le téléphone. Ils étaient tous saufs et n'avaient pas trop dormi.
La suite est une journée très spéciale, mais nous avons eu cette peur de dormir pendant un bon mois.
 
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